14 mars 2017

Guitare et Violon

Pour étoffer son catalogue, Cristal Records a créé des collections thématiques sur le jazz, dont Cristal Records Presents et Original Sound Deluxe.


Cristal Records Presents Jazz Guitar

Cristal Records Presents propose de parcourir des thèmes sous forme de double album : l’un consacré à des titres emblématiques du thème choisi et l’autre avec une sélection d’artistes du label qui s’inscrivent dans le thème. C’est à l’infatigable Claude Carrière que revient le privilège de sélectionner les morceaux classiques et à Fred Migeon celui de choisir des titres dans le catalogue de Cristal Records. Après le blues, l’Afrique, les ballades et le jazz latino, c’est la guitare qui est à l’honneur de cinquième titre de la collection : Cristal Records Presents Jazz Guitar.

Le premier disque s’ouvre sur « I’ll See You In My Dream », interprété par Django Reinhardt accompagné de Baro Ferret et Emmanuel Soudieux : une rythmique sautillante au service de la limpidité d’un discours, parsemé de trouvailles. Al Casey – avec Fats Waller – et Floyd Smith – en compagnie d’Andy Kirk – nous plongent dans l’ère swing, avec des essais de jeu slide pour Smith. L’incontournable « Solo Flight » de Charlie Christian marque un tournant clair, net et moderne vers le be-bop. Suivent ensuite des musiciens qui ont porté la guitare be-bop à son apogée: l’élégante sobriété de Billy Bauer, la fluidité de Jimmy Raney (et non pas Rainey), la nonchalance West Coast d’Herb Ellis, les propos tranchants de Tal Farlow, le blues teinté de pop de Mundell Lowe, la subtilité de Barney Kessel et le lyrisme de Rene Thomas. La vivacité de Wes Montgomery et la fausse désinvolture de Kenny Burrell – partenaire de John Coltrane pour l’occasion – nous amènent au hard-bop. Sur « My Funny Valentine », Jim Hall et Bill Evans donnent une leçon de modernité. Pour terminer le premier disque, retour à la tradition be-bop avec Sacha Distel et au swing de Sal Salvador, accompagné par l’orchestre de Stan Kenton.

Pour le deuxième disque, Migeon a puisé dans le catalogue de Cristal Records des morceaux sortis entre 2004 et 2016. Sébastien Giniaux et David Reinhardt suivent les traces de Django Reinhard avec brio. Dans une veine mainstream mélodieuse, Michael Felberbraum et Gilad Hekselman se font accompagner par des orchestres dynamiques. Ulf Wakenius met sa sonorité satinée au service d’un morceau teinté de pop. Pierre Durand joue les guitar hero sur « Dreamers », signé Sébastien Texier. Même esprit rock bluesy (mais davantage acoustique) pour Gérard Marais et son quartet, Pierre Berchaud dans « Mistery Lake », une composition de Karl Jannuska, et Serge Lazarevitch, qui reprend « Evidence » de Thelonious Monk. David Chevallier et son trio donnent une version bien d’aujourd’hui de « The Man I Love ». Gilles Renne puise chez Miles Davis l’ambiance bluesy épaisse de « Quand le chacal dort ». Carles Gr revient vers un hard-bop nerveux. Le deuxième disque se referme sr « Hot Barbecue », un boogaloo efficace joué par ‘Jumpin’ Jeff Hoffman.

Le premier disque donne un bon résumé de l’histoire de la guitare jazz jusqu’aux années soixante. Les plus pointilleux voudraient un disque supplémentaire pour ajouter Joe Pass, Chet Atkins, Pat Martino, Eddie Condon, Freddie Green, Tiny Grimes, Grant Green, Eddy Lang… ou encore, quelques représentants du latin jazz et de la bossa nova… Mais une sélection est une sélection et celle-là a le mérite d’être représentative. Le deuxième disque permet à l’auditeur d’avoir un échantillon de quelques guitaristes contemporains. Vu le nombre de guitaristes-phares actifs entre les années soixante et aujourd’hui, il est bien sûr un peu frustrant d’avoir un trou pendant cette période…


Jazz Violin Legends

Original Sound Deluxe est davantage une collection historique qui présente des lieux, des styles, des instruments, des humeurs… à travers des vieux enregistrements de jazz extirpés des archives, judicieusement choisis par… Carrière, soigneusement matricés par Art & Son Studio et joliment illustrés par Christian Cailleaux (notamment l’auteur, avec Hervé Bourhis, de Piscine Molitor, une biographie dessinée de Boris Vian). Le quarante-deuxième opus de la collection est consacré au violon : Jazz Violin Legends.

Les morceaux s’étalent de 1927 – « Goin’ Places » de Joe Venuti et Eddie Lang – à 1960 – «  Tempo For Two » de Joe Kennedy Jr. avec le quartet d’Ahmad Jamal – mais la grande majorité des morceaux se situent dans les années trente et quarante. Les violonistes précurseurs tels Venuti, Darnell Howard avec l’orchestre d’Earl Hines ou encore Juice Wilson avec Noble Sissle sautillent allègrement. Edgar Sampson, accompagné de Fletcher Henderson, et Claude Williams, en compagnie de Count Basie, meublent sans vraiment décoller. Harry Lookofsky, qui joue les parties de trois violons et celles de deux violoncelles, s’aventure du côté d’Hollywood, tandis que Ray Nance, avec Duke Ellington, donne une version légèrement sirupeuse de « Come Sunday ». Emilio Caceres swingue avec énergie, tout comme Ray Perry, qui peut compter sur l’orchestre de Lionel Hampton. Si la rythmique (le clan Ferret et Maurice Speilleux) de « Royal Blue » swingue sérieusement, le blues de Georges Effrosse reste timide. Même timidité pour John Frigo dans « Blue Orchids »… Dès que walking et chabada s’en mêlent, les morceaux s’envolent plus facilement, comme Stuff Smith, avec Shirley Horn, ou Kennedy Jr., avec Jamal. Constatation qui s’applique également quand les carrures sont bien tenues, comme avec Svend Asmussen (« Tea For Two »), Emma Colbert (« I’m In The Mood For Love ») ou André Hodeir (« Minor Swing »). Dans un environnement manouche, les violonistes trouvent une légèreté rythmique et une aisance mélodique plaisante, à l’instar de l’excellent duo entre Stéphane Grappelli et Django Reinhardt (« I’ve Found A New Baby » – 1937), celui d’Eddie South et de Reinhardt, Michel Warlop, toujours avec Reinhardt (plus Louis Vola), ou encore le trio South – Warlop – Grapelli. Quant à Reinhardt, il est plus décisif à la guitare qu’au violon (« Vous et moi »)…


Jazz Violin Legends est un document historique particulièrement intéressant, ne serait-ce que pour embrasser la place du violon dans le jazz. Reste à compléter l’histoire avec les violonistes qui ont suivi, de Jean-Luc Ponty à Régis Huby, en passant par Didier Lockwood, Dominique Pifarély, Regina Carter, Florin Niculescu, Mark Feldman, Billy Bang… pour n’en citer que quelques uns.