27 mai 2015

Beyond The Predictable Touch

Beyond The Predictable Touch
Synaesthetic Trip02

Photographe, poète, écrivain, graphiste, peintre… et percussionniste, Edward Perraud touche à tout ce qui rime avec création artistique. Ce qui ne l’empêche pas, au passage, de créer son label, Quark Records, en 2005. Label qui compte dans ses rangs moult musiciens d’avant-garde : Jean-Luc Cappozzo, Hasse Poulsen, Thomas de Pourquery, Jean-Luc Guionnet, Jean-Pierre Drouet, Daniel Erdmann, Joe Rosenberg… Mais ce n’est « qu’en » 2011 que Perraud forme son premier groupe en leader, le quartet Synaesthetic Trip, avec Bart Maris à la trompette et au bugle, Benoit Delbecq au piano et Arnault Cuisinier à la contrebasse.

Revenons sur Synaesthetic Trip. La synesthésie, d’après le Larousse, vient du grec sunaisthêsis (sensation simultanée) et serait une « association spontanée par correspondance de sensations appartenant à des domaines différents » (par exemple : un Do rouge). Quant à trip, toujours d’après le Larousse, il vient de l’anglais trip (!) – voyage – et désigne « dans le langage des toxicomanes, [un] état hallucinatoire dû à la prise d’une drogue, en particulier de LSD ». En bref, le Synaesthetc Trip, c’est voir un Do rouge après avoir bu un rhum aguaquina… sur une plage du Venezuela.

Le premier disque, éponyme, de Synaesthetic Trip sort en 2012 ; c’est un cheval qui fait la une de la pochette. Trois ans plus tard, une nouvelle constellation est née : l’élan. La pochette de Beyond The Predictable Touch affiche la tête d’un bel original… La photo est, évidemment, signée Perraud… Au quartet habituel s’ajoutent le saxophone ténor de Daniel Erdmann et l’alto de Thomas de Pourquery. Les dix morceaux sont signés Perraud.

Avec des musiciens du calibre de ceux de Synaesthetic Trip, il fallait s’y attendre : la musique ne ronronne pas un seul instant. En dehors de « Democrazy », qui conclut l’album sur une ambiance électro-lounge légèrement incongrue, tous les autres morceaux surfent sur une base mainstream, rapidement prise de vitesse… à l’instar de « Mal pour un bien », dans lequel Delbecq mêle contemporain et stride, soutenu par les motifs profonds de Cuisinier et les ferraillements de Perraud, avant d’être rejoint par Maris, dans un registre free (mesuré). En partant de mélodies séduisantes (« Nun Kom », « Captain Universe ») ou de thèmes-riffs entraînants (« Te Koop Te Huur »), le combo s’envole dans des contrechants d’abord sages, mais qui se débrident vite (« Lascia fare mi »). Cette atmosphère foisonnante, entre tradition et free, stimulée par une structure rythmique souvent complexe (touches indiennes dans « Entrailles », alternance binaire et composée dans « Sad Time »…), n’est pas sans rappeler Rahsaan Roland Kirk ou Charles Mingus (« Te Koop Te Huur »), voire Albert Ayler quand les musiciens s’emparent d’un standard qu’ils déchirent (« My Way » dans « Captain Universe »). La musique de Beyond The Predictable Touch est à tiroirs : chaque écoute permet de découvrir une voix (« Nun Komm »), une citation (« Concerto For Cootie » dans « Mal pour un bien », « Le lac des cygnes » dans « Te Koop Te Huur », « My Way » dans « Captain Universe »…), des climats (bluesy dans « Lascia fare mi », répétitif dans « Suranné », légèrement debussyste dans « Touch », vigoureux dans « Te Koop Te Huur », majestueux comme une pavane dans « Sad Time)…

Le Synaesthetic Trip nous embarque dans un voyage bigarré et authentique ; Beyond The Predictable Touch se caractérise par une vitalité et une ingéniosité qui s’adressent autant aux sens qu’à la raison.