18 mai 2015

Le bloc des notes : Laurent Mignard, David Torn, Gary Peacock


Duke Ellington Sacred Concert
Laurent Mignard Duke Orchestra
Juste Une Trace – AM2015002

C’est en 2003 que LaurentMignard crée le Duke Orchestra pour jouer la musique de Duke Ellington. Le 1er octobre 2014, à l’occasion du « quarantième anniversaire de l’héritage » d’Ellington, Mignard interprète des morceaux des Sacred Concerts dans l’église de La Madeleine devant près de mille deux cent personnes. La petite-fille du Duke, Mercedes Ellington, est également présente et lit des extraits de Music Is My Mistress, l’autobiographie d’Ellington. Avant « le tour des cathédrales » en juin 2015, qui conduira l’orchestre à Lille, Rennes, Toulouse, Aix-en-Provence, Lyon et Nîmes, un coffret enregistré pendant le concert de La Madeleine sort le 18 mai sur le label Juste Une Trace. Il regroupe la vidéo du concert et un CD avec des morceaux choisis.

Aux quinze membres du Duke Orchestra s’ajoutent la formation vocale Les voix en Mouvement dirigée par Michel Podolak, les chanteurs Sylvia Howard, Nicolle Rochelle et Emmanuel Pi Djob, le danseur de claquettes Fabien Ruiz et quatre chœurs amateurs de près de cent vingt voix.

Le répertoire de Duke Ellington Sacred Concert est puisé dans les trois concerts sacrés qu’Ellington a donnés en 1965, 1968 et 1973. Comme leurs noms l’indiquent, les Sacred Concert sont bien des concerts et non pas des suites, messes ou autres œuvres construites sur des mouvements consécutifs. D’ailleurs, le premier concert comporte trois reprises, dont le célèbre « Come Sunday », tiré de la suite Black, Brown and Beige (1943).

Une chose est sûre, le Duke Orchestra swingue ! Il faut dire que la section rythmique sait de quoi elle parle : à la batterie, Julie Saury est d’une régularité et d’une maîtrise infaillible, à l’instar de son solo dans « In The Beginning God » et de son chabada (« It’s Freedom ») ; avec son gros son (« Allmighty God ») et ses walkings solides (« It’s Freedom »), Bruno Rousselet maintient une pulsation vigoureuse ; quant à Philippe Milanta, il introduit la plupart des morceaux, soutient les solistes avec des motifs énergiques et son solo, dans « Meditation », est d’un lyrisme rythmique bien dans l’esprit ellingtonien. D’une manière générale les musiciens sont irréprochables : nets et précis, leurs chorus ne manquent pas de piment comme, par exemple, les envolées aigües du trompettiste Richard Blanchet (« Praise God And Dance »), les questions-réponses entre le trombone de Michaël Ballue et le saxophone de Didier Desbois (« Tell Me The Truth »), les accents bluesy du trompettiste Jérôme Etcheberry (« The Shepherd »), le solo relevé du saxophoniste Philippe Chagne (« Praise God »)… De son côté, Ruiz fait une démonstration savoureuse de claquettes dans « David Danced Before The Lord » (uniquement sur le DVD). La voix rocailleuse, la puissance et l’expressivité d’Howard apportent la touche de gospel au Duke Ellington Sacred Concert. Avec sa voix de stentor, Pi Djob passe d’une approche classique (« In The Beginning God ») à un esprit soul (le duo avec Howard dans « The Lord‘s Prayer »). C’est à Rochelle, avec sa belle voix de soprano et sa technique sûre, que revient le rôle de chanter les arias (« Praise God And Dance ») plus proche de la musique religieuse (« Heaven ») que du jazz. Les Voix en Mouvement et Rousselet dialoguent habilement dans « Almighty God » (uniquement sur le CD). Les quelques cent vingt choristes peinent à décoller, sans doute par manque de précision rythmique et d’équilibre sonore. Fort heureusement leurs parties sont courtes et réduites au minimum sur le CD.

Même s’il y a quelques passages cross-over, Duke Ellington Sacred Concert est davantage ancré dans le jazz mainstream. Avec une énergie réjouissante, Mignard mène brillamment son Duke Orchestra sur les traces du Maestro.
  


Only Sky
David Torn
ECM – 470 8869

David Torn s’est illustré au sein d’Everyman Band, groupe de jazz-fusion des années quatre-vingts, mais aussi aux côtés de Jan Garbarek (It’s OK To Listen To The Gray Voice). Il sort Only Sky, en solo.

Le guitariste a enregistré les neuf morceaux – tous de sa plume – avec ses guitares, son oud électriques et des effets dans tous les sens.  

Only Sky est construit sur des Lignes éthérées (« At Least There Was Nothing »), aériennes («  Ok, Shorty »), spatiales (« A Goddamned Specific Unbalance »), lentes (« So Much What »), parfois un peu folk, dans le style de John Abercrombie (« Spoke With Folks »)… qui évoquent souvent, non seulement des musiques de films de science-fiction (« Only Sky ») ou un minimalisme répétitif et bruitiste (« Was A Cave, There… »), mais aussi Brian Eno (« I Could Almost See The Room ») et les guitar heros (« Reaching Barely, Sparely Fraught »)… 

Only Sky va combler tous les amateurs de musique synthétique arythmique.



Now This
Gary Peacock Trio
ECM – 471 5388

Pour fêter les quatre-vingts ans et plus de cinquante ans de carrière de Gary Peacock, ECM sort Now This un album en trio enregistré en 2014 à Oslo. Ce n’est pas avec le trio auquel il a donné naissance un jour de 1977 et qui deviendra célèbre six ans plus tard sous la houlette de Keith Jarrett que Peacock joue, mais avec Marc Copland et Joey Baron.

Le répertoire de Now This est essentiellement composé de morceaux du trio : Peacock en signe sept, Copland deux et Baron un. Le trio joue également « Gloria’s Step » de Scott LaFaro.

Des mélodies élégantes (« This »), des jeux harmoniques complexes (« Vignette »), des rythmes sophistiqués sur des tempos plutôt medium lents (« Shadow ») : le trio joue une musique résolument moderne et base ses dialogues sur une écoute attentive (« Moor »). Baron passe de roulements majestueux (« Gala ») à une pulsation vigoureuse (« And Now ») et emploie souvent les balais pour répondre subtilement à ses compères (« Shadow », « Gloria’s Step »). Copland est dans un registre contemporain lyrique (« Esprit de Muse ») qui évoque parfois Paul Bley (« Gloria’s Step »), avec des incursions dans le minimalisme (« Gala »), mais aussi un sens mélodique affuté (« Gala ») et un swing solide (« Noh Blues »). Des phrases souples et élancées (« Shadow »), beaucoup d’aisance dans les ballades (« Christa »), des lignes particulièrement musicales (« Requiem »), une interaction totale avec Copland et Baron (« Moor »)… : comme avec Jarrett, et sur les traces de LaFaro, Peacock est un contrebassiste chantant.


La musique de Now This est placée sous le sceau d’un free introspectif et interactif : le trio échange ses idées avec beaucoup de finesse et une complicité évidente.