22 avril 2015

Le bloc des notes : Roberto Fonseca, Kyle Eastwood

At Home
Fatoumata Diawara & Roberto Fonseca
Jazz Village – JV9570080

En 2011, pour l’album Yo, Roberto Fonseca invite Fatoumata Diawara à chanter « Bibisa », une composition du musicien malien Baba Sissoko. De cette expérience naît le projet d’un duo autour d’un répertoire ad hoc. C’est à Marciac, en août 2014, que Diawara et Fonseca enregistrent At Home pour Jazz Village.

Le quintet qui accompagne Diawara et Fonseca est constitué de deux « fidèles » du pianiste, déjà présents sur Yo : le percussionniste Joel Hierrezuelo et le batteur Ramsés Rodriguez. La basse est confiée à Yandy Martínez, Sekou Bah est à la guitare électrique et Drissa Sibide au n’goni. L’instrumentation donne des indices sur la teneur de la musique de At Home… Diawara propose trois morceaux, Fonseca deux, et « Real Family » est co-signé.

Avec ses rythmes luxuriants, énergiques et entraînants, et ses traits de piano fulgurants, « Sowa » annonce la couleur : At Home est placé sous le signe de la danse ! Le public a d’ailleurs l’air d’apprécier : applaudissements nourris et cris d’encouragement escortent le septet de bout en bout. Il faut dire aussi que Diawara exhorte les spectateurs à frapper dans les mains (« Clandestin ») et que Fonseca fait tout ce qu’il faut pour chauffer la salle (« Connection »). Le quintet rythmique joue un rôle clé dans la dynamique de At Home : riffs croisés dans tous les sens  (« Clandestin », clave et congas latines (« Connection »), foisonnement accentué par les phrases nerveuses du piano (« Yemaya »), ambiance world vigoureuse (« Neboufo »). Diawara chante en bambara avec une mise en place souple et efficace (« Clandestin »), une voix chatoyante et chaude. Couplets répétés (« Sowa »), récitatifs (« Real Family »), youyous (« Clandestin »), exclamations (« Yemaya »), conte (« Real Family », récit de sa fuite du Mali vers la France pour éviter un mariage forcé), vocalises expressives (« Neboufo »)… tout rappelle l’Afrique. Le jeu de Fonseca est flamboyant : lignes arpégées supersoniques, suites d’accords puissants, phrase dédoublées à l’unisson dans le plus pur style latino (« Neboufo »), questions-réponses véloces (« Connection »)… Ses solos sont un mélange de virtuosité classique, de lyrisme (le duo avec Diawara dans « Real Family ») et d’aisance rythmique. Fonseca passe de la descarga (« Yemaya ») à l’Orient (« Real Family »), sur fond d’Afrique.

At Home respire une joie de vivre et un plaisir des rythmes ensorcelants…
  

Time Pieces
Kyle Eastwood
Jazz Village – JV9570034

En 1998, Kyle Eastwood enregistre son premier disque, From There to HereVingt-cinq ans plus tard, voici son septième opus : Time Pieces, qui sort chez Jazz Village.

Depuis le début des années 2010, Eastwood joue avec un quartet composé de Brandon Allen aux saxophones ténor et soprano, Quentin Collins à la trompette et au bugle, Andrew McCormack au piano et Ernesto Simpson à la batterie. Sorti en 2013, The View from Here est leur premier enregistrement.

Huit des dix morceaux sont signés Eastwood, dont une reprise de « Letters From Iwo Jima » tirée de la musique du film éponyme de Clint Eastwood (2006), « Peace For Silver », un hommage à Horace Silver, « Bullet Train », clin d’œil au « Blue Train » de John Coltrane, deux tributs à l’alcool, « Caipirinha » et « Prosecco Smile »… Le quintet joue aussi « Dolphin Dance » d’Herbie Hancock (Maiden Voyage – 1965) et « Blowin’ The Blues Away » d’Horace Silver (disque éponyme – 1959).

La plupart des morceaux suivent a structure type du bop : énoncé du thème à l’unisson, succession de chorus et reprise du thème à l’unisson. Les compositions d’Eastwood sont des mélodies élégantes (« Vista »), voire nostalgiques (« Letters from Iwo Jema »), souvent écrites sous forme de motifs courts (« Caipirinha », « Peace For Silver »), mais aussi parfois dissonantes (« Incantation »). Allen, Collins et McCormack connaissent leur hard bop sur le bout des doigts : solos nerveux néo-bop au saxophone ténor (« Incantation ») et piquant au soprano (« Bullet Train ») ; bugle habile (« Dolphin Dance ») ou soyeux (« Nostalgique ») et trompette inventive (« Prosecco Smile ») ; piano plein de swing (« Caipirinha »), en trumpet style (« Blowin’ The Blues Away ») ou en série d’accords funky (« Peace For Silver »), mais aussi lyrique (« Vista »)… Comme à la « grande » époque Blue Note, les riffs des soufflants accompagnent les solistes (« Prosecco Smile », « Caipirinha ») et leurs dialogues servent de trampoline aux stop-chorus de la batterie (« Bullet Train »)... Simpson joue dense et mat (« Dolphin Danse »), croise les rythmes (« Caipirinha »), glisse des chabada bien emmenés (« Blowin’ The Blues Away »)… Sa présence solide maintient ses compères en éveil (« Prosecco Smile »). Tour à tour groovy (« Caipirinha »), mélodieux (« Dolphin Dance »), véloce (« Blowin’ The Blues Away »), mélancolique (« Nostalgique », en duo avec le piano), hypnotique (« Incantation »), entraînant (la walking de « Bullet Train »)… Le quintet passe d’une ambiance dansantes caribéenne (« Caipirinha ») à du hard bop typique (« Blowin’ The Blues Away », « Bullet Train ») en faisant un crochet par du boogaloo (« Prosecco Smile »), du funk (« Peace For Silver »), de la ballade (« Vista », « Letters From Iwo Jima »), du romantisme (« Nostalgique »)…

Time Pieces confirme que la voie qu’Eastwood avait ouverte dans The View from Here est la sienne : un néo-hard-bop dynamique pimenté de funk.