22 novembre 2014

Septembre 2012

Cycladic Moods – Franco Ambrosetti

En 1979, Franco Ambrosettienregistre son premier disque pour Enja : Close Encounter. Une quinzaine d’albums plus tard, le trompettiste sortCycladic Moods avec un sextet de haut vol constitué de Geri Allen au piano, Heiri Kaenzig à la contrebasse, Nasheet Waitsà la batterie et Gianluca Ambrosetti au saxophone soprano.
Cycadics Moods fait référence à la « Cycladic Suite », quatre mouvements écrits par Ambrosetti. « Instant Correlation » est également signé Ambrosetti. Les quatre autres thèmes ont été composés par Allen, Gianluca Ambrosetti, Miroslav Vitous(« Mirobop ») et Horace Silver (« Peace »).
En dehors de la « Cycladic Suite », la plupart des morceaux suivent une construction proche du hard-bop : après un démarrage souvent sur les chapeaux de roue avec des unissons qui partent en contre-chants échevelés, les solistes prennent des chorus plein de vivacité, puis le sextet conclut sur le thème avec fougue (« Instant Correlation », « In A Real Time », «  Blues For My Friends »). Sur un peu plus de vingt minutes, « Mirobop » laisse chacun des musiciens s’exprimer sans contrainte de temps. Le sextet alterne jeu « in and out », mais reste toujours mélodieux comme Allen (« Mystic Dawn »), Gianluca Ambrosetti (sur les traces de John Coltrane dans « Seven Bofors »), Burton (« Agean Waves »).
Souples, mais denses, les jeux de Kaenzig et Waits sont complémentaires et efficaces, à l’instar de la walking et du chabada de « Instant Correlation » ou « In A Real Time ». Accompagnatrice solide qui alterne suites d’accords minimalistes, rifs et contrepoints, Allen reste attachée à la mélodie et se montre volontiers lyrique dans ses chorus (« Mirobop », « Peace »). Ambrosetti fils joue le plus souvent tendu, moderne et free, mais avec aussi quelques moments d’exaltation (« Mirobop »). Le « carbophone » (Ambrosetti fils en joue dans « Blues For My Friends ») reste un instrument mystérieux dont la sonorité se situe entre le mélodica et les jeux en plastique... Burton a essentiellement pour rôle d’étoffer le chœur des soufflants, mais ses solos révèlent un tempérament nerveux, servi par une sonorité métallique puissante (« Mirobop »). Quant à Ambrosetti, très à l’aise dans les envolées bop (« Instant Correlation », « Mirobop »), sa trompette chaleureuse et velouté fait des merveilles dans les passages mélancoliques (« Peace »).
Dans la continuité du hard-bop, Cycladic Moods déroule des traits virtuoses sur des rythmes entraînants, mais avec des embardées débridées qui rappellent que le free est passé par là…
Les musiciens
Fils du saxophoniste Flavio Ambrosetti et père du saxophoniste soprano Gianluca, Ambrosetti est né à Lugano, en Suisse et commence par apprendre le piano, qu’il délaisse pour la trompette à l’âge de dix-huit ans. Il fait ses débuts professionnels à Zürich dans l’orchestre de son père, des groupes locaux et le quintet de Romano Mussolini. En parallèle il étudie l’économie à l’Université de Bâle et prend la direction générale de l’entreprise familiale jusqu’en 2000. Dans les années soixante Ambrosetti joue avec Gato BarbieriDaniel Humair,George GruntzDexter GordonPierre Favre etc. En 1966, le premier prix de trompette qu’il remporte à la Compétition Internationale de Jazz de Vienne achève de lancer sa carrière, notamment aux Etats-Unis où il joue avec Jean-Luc Ponty. Dans les années soixante-dix, Ambrosetti monte un quartet avec Gruntz, Humair et divers contrebassistes dont Jean-François Jenny-Clarke,Henri Texier… Dans les années quatre-vingt et quatre-vingt-dix, Ambrosetti joue de plus en plus dans les clubs New-Yorkais avec Kenny BarronMarvin Smitty SmithUri CaineDavid SanchezGary Batz,John Scofield etc. Depuis le début des années deux-mille il collabore souvent avec Miroslav VitousAntonio FaraoDado Moroni, Caine…
Burton a grandi à Greenwich Village près de ses amis d’enfance Eric McPherson et Waits. Il apprend la musique au Fiorello H. LaGuardia High School of the Music and Performing Arts et gagne ses premiers gallons dans le quintet de son professeur, Justin Dicioccio. Burton suit ensuite les cours de Jackie McLean à l’Université d’Hartford’s Hartt Scool of Music. Il démarre sa carrière professionnelle dans les Taylor’s Wailers d’Art Taylor. En 1994 Burton monte un quartet avec McPherson, enregistre pour Enja et tourne dans le monde. A partir de 1998 il intègre également les trois orchestres de la famille Mingus. Il a aussi créé un trio avec Waits et McPherson.
Sortie de la Cass Technical High Scool de Detroit et de l’Howard University, Allen est également diplômée en ethnomusicologie de l’université de Pittsburg. Active sur la scène du jazz depuis 1982, elle a joué dans les contextes les plus variés avec la plupart des musiciens connus : de Diane Reeves à Lester Bowie en passant par Steve ColemanRon CarterLee KonitzTony WilliamsRavi Coltrane,Betty CarterOrnette Coleman… Elle a enregistré une vingtaine de disques en leader, reçu le Jazzpar Prize, enseigne à The School of Music, Theater and Dance…
Kaenzig est né à New York, mais a essentiellement étudié en Europe (Graz, Vienne et Zürich). Il commence sa carrière aux côtés d’Art Farmer, puis partage son temps entre la world music et le jazz. En Europe il s’est fait connaître comme bassiste du Vienna Art Orchestra avec qui il a joué dès 1978. Dans les années quatre-vingt-dix il monte un quartet avec Art LandeKenny Wheeler et François Laiszeau, et accompagne de nombreux musiciens : Scofield, Johnny GriffinBob Mintzer, Billy CobhamRichard GallianoDidier Lockwood, Carter… Aujourd’hui il tourne avec son trio, Départ (Jojo Mayer et Harry Sokal) et a monté le projet « Buenos Aires » avec Michael Zisman(bandonéon) et Matthieu Michel (bugle).
Waits se met à la batterie sur les traces de son père Freddie Waits, percussionniste de renom, et suit les cours de Michael Carvin. Son diplôme de musique de la Long Island University en poche, Waits est remarqué par Max Roach qui l’intègre dans son ensemble de percussions M’Boom. Il rejoint ensuite Antonio Hart avec qui il reste jusqu’en 1998. Ensuite il joue dans les groupes d’Andrew HillJason Moran’s Bandwagon, Fred HerschJacky TerrasonBunky Green,Joshua RedmanBojan Z...
Le disque
Cycladic Moods
Franco Ambrosetti
Franco Ambrosetti (tp, bg), Abraham Burton (ts), Geri Allen (p), Gianluca Ambrosetti (ss), Heiri Kaenzig (b) et Nasheet Waits (d).
Enja - ENJ-9576 2
Sortie en avril 2012
Liste des morceaux
01. « Instant Correlation » (08:36).
02. « Mystic Dawn » (03:34).
03. « Agean Waves » (06:19).
04. « Seven Bofors » (03:52).
05. « Where The Sun Never Sets » (02:47).
06. « In Real Time », Allen (06:58).
07. « Mirobop », Miroslav Vitous (21:32).
08. « Blues For My Friends », Gianluca Ambrosetti (04:54).
09. « Peace », Horace Silver (03:32).
Tous les morceaux sont signés Ambrosetti, sauf indication contraire.

De l’aigre-doux chez les poètes…

Daniel Humair Quartet – Sweet & Sour
En plein troisième arrondissement, à deux pas de Beaubourg, la Maison de la Poésie résonne davantage aux mots de Friedrich Nietzsche, Michel Butor, Allen Ginsberg, André Suarès, Alexandre Pouchkine… qu’aux notes des improvisateurs en tous genres. Et pourtant, le 21 septembre, c’est le Daniel Humair Quartet qui remplit la grande salle pour présenter son dernier disque : Sweet & Sour.
Est-il encore besoin de présenter Humair ? D’abord tambour dans une fanfare de Genève, il découvre le jazz à quatorze ans et apprend la batterie en autodidacte. Humair passe professionnel à dix-sept ans et écume les scènes de Suisse, Belgique, Suède et Allemagne. En 1958, il s’installe à Paris où il accompagne la plupart des grands noms du jazz : de Don Byas à Eric Dolphy, en passant par Bud PowellChet Baker,Kenny Dorham… L’année suivante commence une collaboration au long court avec Martial Solal. Humair devient un habitué du Club Saint-Germain. A partir des années soixante, il monte un trio avecJean-Luc Ponty et Eddy Louiss, se produit avec les Swingle Singers, tourne avec l’European Rhythm Machine de Phil Woods, joue dans un trio mythique avec François Jeanneau et Henri Texier, puis avecJoachim Kühn et Jean-François Jenny-Clark et participe à une multitude de sessions aux côtés de Jim HallLee KonitzArt Farmer,Joe HendersonDexter GordonJohnny GriffinAnthony Braxton… En 2003, Humair sort Baby Boom avec un quintet de « jeunes loups » :Christophe MonniotManu CodjiaMatthieu Donarier et Sébastien Boisseau. Il récidive en 2008 avec Baby Boom II. Entre temps Humair a enregistré Tryptic (2007) avec François Couturier et Jean-Paul CeleaFull Contact (2008) avec Kühn et Tony MalabyPas de dense(2010) avec Malaby et Bruno Chevillon et I Will Follow You (2010) avec Ben Monder et Jérôme Sabbagh. Par ailleurs Humair a écrit une méthode de batterie pour les éditions Leduc, composé pour le cinéma et la télévision et s’illustre également dans la peinture.


En 2011, Humair rejoint le label Laborie Jazz, crée un nouveau quartet avec Emile ParisienVincent Peirani et Jérôme Regard, et enregistreSweet & Sour.
A onze ans, Parisien intègre le Collège de jazz de Marciac. En 1986 il poursuit son apprentissage du jazz, mais aussi de la musique classique et contemporaine au conservatoire de Toulouse, tout en se produisant à Marciac avec Wynton MarsalisChristian McBrideJohnny Griffin,Bobby Hutcherson… En 2000, il s’établit à Paris et crée un quartet avec Julien Touery (p), Ivan Gélugne (b) et Sylvain Darrifourcq (d). Chez Laborie depuis 2006 (Au revoir porc-épic), Parisien a publié quatre disques sous son nom et joué, entre autres avec Michel Portal,Jacky TerrassonYaron HermanPaco SéryRémi VignoloManu CodjiaAnne Paceo


Peirani débute l’accordéon à onze ans, mais c’est la clarinette qu’il apprend au conservatoire de Nice. Il en sort avec trois premiers prix : clarinette, analyse musicale et solfège. En revanche, au CNSMDP, Peirani étudie d’abord l’accordéon classique. En 1998 il s’oriente vers le jazz et s’inscrit au département jazz et musiques improvisées du CNSMDP, dont il est diplômé en 2004. Peirani a accompagné entre autres Renaud Garcia-Fons, Jeanneau, Youn Sun Nah, Portal, Louis Sclavis, Céléa, Glenn Ferris… Il joue dans Melosolex, en duo avecVincent Lê Quang (premier prix d’orchestre du concours de jazz de La Défense en 2003), en trio avec Daniel Zimmerman (tb) et Manu Codjia (g), le Pandemonium de Jeanneau etc.


D’abord élève au conservatoire de Lyon, Regard rejoint la classe de Jenny-Clark au CNSMDP. Regard enchaîne les tournées et les concerts du Paris Jazz Big Band à Jan Garbarek, en passant par Flavio Boltro,Rosario GuillianiLouis WinsbergSylvain Beuf, Codjia, Daniel MilleStéphane HuchardRick MargitzaLaurent De WildeLaurent Cugny… En parallèle Regard coordonne le département jazz du conservatoire de Lyon, enseigne la contrebasse et la basse électrique et forme des professeurs de musique.
Bien entendu le quartet joue principalement le répertoire de Sweet & Sour. Quatre compositions du disque sont collectives, Peirani et Parisien en amènent deux chacun, « A Unicorn In Captivity » est un thème de la saxophoniste Jane Ira Bloom et « Road To Perdition » est la musique du film éponyme (Sam Mendes – 2002) écrite par Thomas Newman, et jouée en bis le soir du concert. Le quartet joue également « Arfia » de Jeanneau (1980 – Akagera du trio avec Texier et Humair) et « Buaunara » de George Gruntz (1967 – Noon in Tunisiaavec Sahib Shihab, Ponty, Eberhard Weber, Humair et un orchestre traditionnel tunisien).

Dès les premières notes, la qualité des musiciens saute aux oreilles : technique sans faille, sonorités énormes, écoute irréprochable et imagination débordante. L’accordéon « remplace » le piano dans la section rythmique et permet à Humair de jouer avec une palette sonore atypique. De l’orgue majestueux à des cris suraigus mystérieux, en passant par des accords langoureux, des contrepoints spectaculaires, des ritournelles… Peirani utilise toutes les facettes de son instrument.
Sweet & Sour dégage une énergie formidable et une créativité de tous les instants, dans la lignée du quartet de John Coltrane. Une surprise attend l’auditeur au détour de chaque morceau. Des échanges vifs et heurtés – comme une passe à dix musicale – frisent la musique contemporaine ; une « running basse » et un chabada serré emmènent le quartet à un tempo d’enfer vers des réminiscences bop ; des dialogues nerveux, des envolées frénétiques et des jeux de questions-réponses effrénés renvoient au free ; des passages binaires, des esquisses de valse, des rifs chaloupés, des roulements de tambours… rappellent que la danse n’est jamais bien loin ; une mélodie aux accents moyen-orientaux, une mélopée folklorique, un thème aux intonations médiévales, une rengaine de guinguette, un blues « root »… ramènent aux sources populaires du jazz.
Tout au long du concert la connivence du quartet est évidente. Les quatre musicien se complètent à merveille et n’arrêtent pas de se renvoyer la balle, entre rythmes et mélodies. « Shubertauster » est caractéristique : Parisien commence par jouer des effets avec ses touches et son souffle ; Humair prolonge le motif, tandis que Peirani étire ses accords et que Regard déroule une ligne de basse souple et mélodieuse sur laquelle rebondit le soprano ; puis le contrebassiste et l’accordéon intervertissent leurs rôles et, pendant que Regard lance un rif puissant, qui gronde dans les graves, Peirani alterne phrases rapides et accords, propulsé par une batterie qui part dans une accélération vertigineuse et des frappes ébouriffantes…
C’est sûr, la musique de Sweet & Sour part dans tous les sens, mais en toute logique et avec une cohésion exceptionnelle. Le met aigre-doux que nous servent Parisien – Peirani – Regard – Humair se montre particulièrement succulent : du « free dansant », un véritable régal pour les papilles auditives !

Le Tarkovsky Quartet au Collège…

Après Nostalghia, Song For Tarkovski (2006) en quartet et Un jour si blanc (2009) en solo, Tarkovsky Quartet (2011) est le troisième volet de la trilogie que François Couturier a consacré à l’univers du cinéaste Andreï Tarkovski pour ECM. Le 13 septembre, dans le grand auditorium du magnifique Collège des Bernardins, le quatuor joue le répertoire de leur dernier disque.
C’est en 2005 que Couturier monte un quartet pour jouer de la musique inspirée des films de Tarkovski. Couturier fait appel à deux musiciens avec qui il travaille depuis longtemps : le saxophonisteJean-Marc Larché, rencontré dans les années quatre-vingt-dix et avec qui il a monté le spectacle Mozart And Amadeus, et l’accordéonisteJean-Louis Matinier, membre, comme lui, de la formation d’Anouar Brahem depuis le début des années deux mille. Se joint au trio la violoncelliste Anja Lechner car Couturier cherchait « un instrument grave, clarinette basse ou autre. C’est alors que j’ai entendu Anja Lechner, et j’ai vraiment aimé la façon qu’elle avait d’aborder le violoncelle… ».


Après une formation de concertiste classique et des études avec Heinrich Schiff et Janos Starker, Lechner fait partie du célèbre Rosamunde Quartet, de 1991 à 2009, année de sa dissolution. Lechner passe d’ensembles de musique de chambre à des orchestres où elle est soliste. Son répertoire va aussi bien de Joseph Haydn à Dimitri ChostakovichAnton Webern… que des contemporains qui ont composé des œuvres pour elle, à l’instar de Valentin Silvestrov,Tigran MansurianAnnette FocksAlexandra Filonenko… A côté de sa carrière classique, Lechner forme un duo avec le bandonéonisteDino Saluzzi, depuis 1998 (Ojos Negros – 2007) et participe à diverses expériences dans les musiques improvisées aux côtés de Sylvie CourvoisierMark Feldman et Couturier.
Couturier commence par le piano classique et passe le CAPES de musicologie. En 1978 il forme un duo au long cours avec Jean-Paul Celea. Au début des années quatre-vingt il tourne avec The Translators, le groupe de John McLaughlin. En  1986, avec Celea, il crée Passaggio avec Armand AngsterFrançoise Kübler et Wolfgang Reisinger. Couturier participe à de multiples projets avec Daniel HumairFrançois JeanneauDominique Pifarély (Poros pour ECM), Larché (Mozart And Amadeus), Brahem (Le pas du chat noir et Le voyage de Sahar pour ECM) etc. Couturier compose pour le cinéma (« Maman est folle » de Jean-Pierre Ameris, « lo sono Li » d’Andrea Segre), mais aussi un hommage à Federico Mompou avec François Méchali et François Laizeau et… sa trilogie dédiée à Tarkovski.

Diplômé du conservatoire de Besançon, puis du CNSMDP en 1984, Larché se partage entre le jazz, les musiques du monde et la musique contemporaine. Il joue avec des musiciens aussi divers que Martial SolalMichel EdelinRichard Galliano, Brahem, Jacques Di Donato, a été membre de l’ONJ de Paolo Damiani et Jeanneau… Aujourd’hui, en dehors des groupes de Couturier, Larché fait partie de Fées et gestes (Yves Rousseau), du quartet de Christian Lété et Méchali, du trio avec Godard et Jean-Louis Cappozzo etc.
Matinier apprend l’accordéon au conservatoire de Bourges. Lors d’une session il remplace au pied levé Marcel Azzola, indisponible. Sa prestation convainc Claude Barthélémy qui l’engage dans l’Orchestre National de Jazz de 1989 à 1991. A partir de là, sa carrière est lancée : Gianluigi TrovesiLouis SclavisBruno ChevillonRenaud Garcia-Fons (Fuera)... Il crée Le bûcher des silences avec Michel Godard. Matinier accompagne aussi Juliette Gréco, joue dans des ensembles de musique contemporaine (Michaël RiesslerHoward Levy), fait partie de l’Electric Five d’Enrico Rava etc.

Le concert à lieu sous les combles (pas loin de six mètres sous plafond…) du Collège des Bernardins (construit à partir de 1245, sa nef est à voir absolument), dans le grand auditorium. Pour l’occasion cette belle salle en longueur est quasiment pleine, soit près de deux-cent cinquante auditeurs pour Couturier et Tarkovski ! Amateurs de musique contemporaine, cinéphiles, fans de jazz, passionnés de musique classique, habitués des Bernardins… : le public est plus hétéroclite que celui des clubs et autres salles dédiées aux musiques improvisées.
Pourquoi un hommage à Tarkovski ? « Tout simplement parce que toutes disciplines confondues, c’est l’un des artistes qui m’a le plus marqué. […] Le propre des films est d’être à la fois immédiatement reconnaissables – avec cet univers particulier, ces images, cette façon unique de filmer – et très différents les uns des autres. Comme des bulles… ». Né en 1932, Tarkovski a étudié la musique, la peinture, l’arabe, la géologie… et, à partir de 1959, le cinéma, au VGIK (institut fédéral d’Etat du cinéma) à Moscou. Son premier long-métrage,L’enfance d’Ivan, reçoit le Lion d’or à la Mostra de Venise, en 1962.Solaris est primé au festival de Cannes en 1972 (grand prix spécial du jury. Tarkovski alterne alors séjours à l’étranger – pour fuir la censure – et retour en URSS, près des siens. C’est en 1982 qu’il quitte définitivement son pays pour s’installer en Italie où il tourneNostalghia qui reçoit le prix du cinéma de création à Cannes (avecL’argent de Robert Bresson), remis par Orson Wells. En 1985, Ingmar Bergman l’invite sur l’île de Fårö pour tourner Le sacrifice. Tarkovski décède l’année suivante à Paris.                                            
Couturier a une démarche proche de la musique contemporaine et il s’appuie sur une instrumentation originale : saxophone soprano, piano, accordéon et violoncelle. Ni contrebasse, ni batterie : le Tarkovsky Quartet n’a évidemment pas le jazz – au sens classique du terme – en ligne de mire, d’autant que les parties improvisées sont, sans doute (soyons prudents), plus rares que les parties écrites. Au passage, cela n’enlève évidemment rien à la qualité de la musique !
L’interprétation est exemplaire : les sonorités rivalisent d‘élégances, les phrasés classiques sont irréprochables, les musiciens saupoudrent leurs propos de citations astucieuses ou d’envolées orientales gracieuses, et se répondent par des fondus enchaînés impressionnants ou des échanges rythmiques pétillants. A l’évidence, les musiciens se connaissent par cœur et la symbiose du Tarkovsky Quartet est remarquable.
La construction des morceaux est soignée et complexe, dans le bon sens, c’est-à-dire stimulante : unissons, décalages mélodiques, contrechants, croisements de voix, ostinatos… La musique circule de l’un à l’autre à travers des solos, dialogues, trios, quatuors et même quintet, tant l’indépendance des mains de Couturier est impressionnante. Si les mouvements d’ensemble et les mélodies souvent mélancoliques rappellent la fin du dix-neuvième, les échanges rythmiques et jeux sur les sonorités penchent vers la musique contemporaine, tandis que les basses continues, marches funèbres et autres passages en contrepoints évoquent davantage la musique baroque.
Le Tarkovsky Quartet navigue entre l’esthétisme de la musique contemporaine et la sensualité du jazz ; sa musique est harmonieuse et poignante… comme un film d’Andreï.

Arioli – Baccarini – Hermann Sambin – Kurtz – Lenka – Russell

Six chanteuses et six approches musicales différentes, du blues au rock en passant par les musiques du monde, l’occasion d’écouter six voix qui sortent des sentiers battus : Susie Arioli, Maria-Laura Baccarini, Dayna Kurtz, Véronique Hermann Sambin, Sarah Lenka et Catherine Russell.

Susie Arioli, crooner au féminin
La chanteuse canadienne prend son envol en 1998 au Festival International de Jazz de Montréal avec le Susie Arioli Swing Band. En 2001 elle sortIt’s Wonderful, premier album suivi d’une tournée aux Etats-Unis (Birdland à New York) et en Europe (Festival Django Reinhardt à Paris). Toujours en compagnie du guitaristeJordan OfficerSusie Arioli enregistre Pennies From Heaven en 2002, puis, avec le Susie Orioli Band, That’s For Me (2004) et Learn To Smile(2005). Arioli multiplie les tournées et sort un disque tous les deux ans : Night Lights en 2008, Christmas Dreaming en 2010 et All The Way en 2012.
Outre Officer et la section rythmique piano – basse – batterie, l’orchestre est à dimension variable avec un vibraphone, une trompette, des saxophones ténors ou baryton et des percussions. Arioli chante treize standards, de « Here’s That Rainy Day » au morceau éponyme « All The Way », en passant par « My Funny Valentine », « Come Rain And Come Shine », « When Your Lover Has Gone »… et « What A Difference A Day Made », chanté dans la version française (« Un jour de différence ») que Lys Gauty a immortalisé en 1934. 
Arioli a tout d’une crooner : la voix chaude dans le registre medium grave, la diction suave, le phrasé nonchalant et une mise en place impeccable. Les ambiances varient au grès des morceaux – comédie musicale (« Here’s To The Losers »), bossa-nova (« Here’s That Rainy Day »), nostalgique (« All The Way »), aguichante (« Forgetful »), Chet Baker (« My Funny Valentine ») – mais restent toujours raisonnables. La structure des morceaux s’en tient au format du genre : chant – bref chorus – chant. Les arrangements sont efficaces (« Time On My Hands », « It’s Always You ») et mettent en valeur Arioli, comme le contraste voix – vibraphone dans « Looking For A Boy ». Imperturbable, la rythmique swingue rondement (« Un jour de différence », « It’s always You »).
All The Way ravira les amateurs de chansons intimistes, d’ambiancesafter hours et de production soignée.
Le disque
All The Way
Susie Arioli
Susie Arioli (voc), Jordan Officer (g), Jeff Johnston (p), Bill Gossage (b), Frédéric Grenier (b), Michel Berthiaume (d), Tony Albino (d, cga), Cameron Wallis (ts, bs), Al MacLean (ts), Averil Parker (ts), Ben Henriques (ts), Jérôme Dupuis-Cloutier (tp) et François Stevenson (vib).
Jazz Village – Harmonia Mundi
Sortie en août  2012  

Maria Laura Baccarini, le rock lyrique
All Around, sur une musique de Régis Hubyet des textes de Yann Apperry, a déjà permis de découvrir Maria Laura Baccarini dansJazz à babord. La chanteuse et comédienne « a commencé dans des comédies musicales : West Side Story (Alan Johnson), Cabaret, Gigi, Chicago, Nuit Américaine (Wilson)… et joue également au théâtre (La nuit des rois de Shakespeare). Dans le milieu du jazz français, Baccarini s’est fait connaître avec les projets de Claude Barthélémy (Terra Vagans avec Apperry), Yves Rousseau (Poètes… vos papiers !), Huby (All Around,Furrow)… ».
Furrow est un hommage à Cole Porter, sur des arrangements écrits par Huby pour un quintet de choc avec Roland Pinsard (cl), Olivier Benoît(g), Guillaume Séguron (b) et Eric Echampard (d).
Baccarini et Huby reprennent des tubes de Porter (« Anything Goes », « Night And Day », « My Heart Blongs To Daddy », « Love For Sale »…) sur des arrangements rocks alternatifs. La voix diaphane, l’articulation linéaire et le style recherché de Baccarini contrastent avec la rythmique sourde et binaire (« I Get Kick Out Of You », « My Heart Belongs To Daddy », « Night And Day »). Huby met en musique Furrowun peu comme un film avec des côtés très théâtraux (« It’s De-Lovely ») et des effets très cinématographiques (« What Is This Thing Called Love », « Ev’ry Time We Say Goodye »). Les tourneries du violon électrifié ajoutent une touche folklorique dans l’univers rock (« Just One Of Those Things », « Love For Sale »).
Le sillon de Furrow est plutôt rock progressif que groovy. Avis aux amateurs de climats sophistiqués ou quand le lyrisme côtoie le binaire.
Le disque
Furrow
Maria Laura Baccarini
Maria Laura Baccarini (voc), Régis Huby (vl), Roland Pinsard (cl, b cl), Olivier Benoît (g), Guillaume Séguron (b) et Eric Echampard (d).
Abalone – AB007
Sortie en novembre 2011

Véronique Hermann Sambin, de la world jazzy à textes
Née à Pointe-à-Pitre,Véronique Hermann Sambin étudie à Munich et à Anvers avant de s’installer à Paris. En 2008 Hermann Sambin décide de se consacrer à la musique. Elle joue et tourne dans les cafés parisiens et les festivals afro-caribéens. En 2011 Hermann Sambin rencontre Xavier Richardeau qui arrange la musique de son premier album, Ròz Jériko.
Les dix chansons de Ròz Jériko ont été composées par Hermann Sambin et la formation de base est un sextet avec Richardeau aux saxophones,Jean-Philippe Bordier à la guitare, Tony Tixier au piano, Régis Thérèse à la basse et Andréas Neubauer à la batterie. A noter qu’Alain Jean-Marie participe au disque pour le duo de la chanson éponyme.
Hermann Sambin chante avec une belle voix grave, chaude et veloutée. Ses textes sont principalement en créole, même si elle glisse ça-et-là des couplets en français (« Ròz Jériko ») ou en anglais (« Dear West Indies », « Linea Negra »). Rythmes dansants et mélodies entraînantes sont les deux caractéristiques principales de Ròz Jériko.  Quelques chorus de jazz (guitare dans « Toutouni », baryton dans « Tiké Ganyan ») s’insèrent au milieu des chansons à textes (« Ròz Jériko »), morceaux caribéens (« Soufriyè », « Lè’w la »), boléros (« Dear West Indies »), rifs soul funky (« Tiké Ganyan »)… Mais le rôle essentiel de l’orchestre est d’assurer la pulsation rythmique et de mettre en valeur le chant d’Hermann Sambin.
A défaut de surprendre les amateurs de musiques improvisées, Ròz Jériko respire la joie de (re)vivre, comme ces fleurs du désert qui renaissent aux premières pluies…
Le disque
Ròz Jériko
Véronique Hermann Sambin
Vronique Hermann Sambin (voc), Xavier Richardeau (sax), Alain Jean-Marie (p), Tony Tixier (p), Sony Troupé (d), Andréas Neubauer (d), Jean-Philippe Bordier (g), Régis Thérèse (b), Arnold Moueza (perc), Florence Naprix (voc) et Tony Chasseur (voc).
Sortie en avril 2012

Dayna Kurtz, le blues à fleur de peau
A l’adolescence, Dayna Kurtz quitte son New Jersey natal et parcourt les Etats-Unis, où elle écume les clubs et les festivals avec ses chansons et sa guitare. Elle est nommée Chanteuse de l’Année 1997 par la National Academy of Songwriters. En 2002 Kurtz enregistre Postcards From Downtown et tourne en Europe. Depuis, Kurtz a enregistré Beautiful Yesterday (2004), Another Black Feather (2006), Americain Standard et My Brightest Diamond (2010) et Secret Canon vol. 1 (2012).
Dans Secret Canon Kurtz est entourée de son trio habituel sur huit des dix morceaux : Peter Vitalone (p, B3), Dave Richards (b) et Randy Crafton (d). Pour « Not The Only Fool In Town », enregistré à la Nouvelle Orléans, c’est David Torkanowsky (p), George Porter jr. (b) et Terrance Houston (d) qui l’accompagnent et « Call Me Darling » est un duo avec Jack Williams (g).
Excepté « Not The Only Fool In Town » qu’elle a composé, tous les autres morceaux sont tirés du répertoire blues et R&B des années cinquante et soixante : Floyd Dixon, The Blenders, Nat King ColeJosh WhiteSarah McLawlerLaurie Allyn
La voix grave et pleine et la souplesse rythmique de Kurtz conviennent parfaitement à l’atmosphère bluesy de Secret Canon. Les accents rauques et les touches nasales qu’elle glisse dans son chant apportent beaucoup d’expressivité et rapprochent Kurtz de Nina Simone (« Not The Only Foll In Town »). La section rythmique est efficace : walking (« If yesterday Could Only Be Tomorrow ») et rifs puissants (« Your Fool Again ») de la basse, swing éloquent de l’orgue (« Don’t Fuck Around With Love »), contrepoints délicats du piano (« Sweet Lotus Blossom ») et batterie féline (« I’ll Close My Eyes »). Avec un zeste de réverbération, la prise de son est flatteuse.
Secret Canon est un recueil de ballades bluesy que Kurtz chante avec brio d’une voix captivante.
Le disque
Secret Canon vol. 1
Dayna Kurtz
Daya Kurtz (voc, g), Peter Vitalone (p, B3), Dave Richards (b) et Randy Crafton (d), avec David Torkanowsky (p), George Porter jr. (b), Terrance Houston (d) et Jack Williams (g).
Kismet Records – KIS1006
Sortie en juin 2012

Sarah Lenka, des standards paisibles
Après avoir été reçue aux Beaux-Arts, Sarah Lenka préfère s’installer à Londres et suivre les cours de la London Music School. Elle commence par chanter dans des contextes folks et trip-hop avant de fréquenter les clubs de jazz londoniens. Après cinq ans en Angleterre, Lenka rentre en France. Elle commence sa carrière avec Florent Gac (p) et David Grébil (d) au Sunside. En 2007, lors du festival de jazz d’Enghien, Lenka est primée par la SACEM : « meilleure artiste vocale féminine de l’année ». Am I blue sort chez e-Motive Records en 2009 et, après trois ans de tournées, Lenka publie Hush.
A côté des fidèles Gac et Gébril, Lenka est accompagnée de ses musiciens habituels : Damon Brown à la trompette et Manuel Marchèsà la contrebasse. Elle a également invité le clarinettiste Thomas Savyet la violoniste Aurore Voliqué sur quelques titres, pour élargir la palette sonore.
Le répertoire d’Hush tourne essentiellement autour de standards : « Stormy Weather », « Old Country », « If I Were You »… Brown (avecZoe Francis) signe « I Don’t Mind » et « You May Say » est de Gac et Lenka.
Lenka possède une voix claire dans le registre médium aigu, avec une tessiture relativement ample. Elle met des effets de fêlures et chante des lignes (faussement) fragiles, un peu comme Billie Holiday(« Stromy Weather »). Le quintet est bien rôdé et les musiciens ne se contentent pas de faire-valoir la chanteuse : Gac souligne habilement les phrases de Lenka («  I’ll Wait »), les répliques avisées de Brown sont dynamiques (« All In All »), la section rythmique marie approche traditionnelle (jazz New Orleans dans « If I Were You ») et actuelle (« Old Country »), la clarinette et le violon apportent une touche de modernité (« Red Cardinal »).
Lenka s’approprie les standards : fidèle aux mélodies, ses dialogues piquants avec l’orchestre ajoutent une touche personnelle à Hush.
Le disque
Hush
Sarah Lenka
Florent Gac (p), Damon Brown (tp), Manuel Marchès (b) et David Grébil (d), avec Thomas Savy (cl, b cl) et Aurore Voliqué (vl).
e-motive Records – EMO121
Sortie en janvier 2012

Catherine Russell, le passé du présent
Catherine Russell est née à New York dans un milieu de musiciens : son père, Luis Russell, est un pianiste, compositeur, arrangeur et chef d’orchestre qui a été, entre autres, directeur musical deLouis Armstrong dans les années 40 ; sa mère,Carline Ray, est une contrebassiste et chanteuse passée par la Juillard et la Manhattan Schools of Music et qui s’est fait un nom aux côtés de Mary Lou WilliamsWynton Marsalis… Avant de se lancer dans une carrière de soliste, Russell a appris le métier dans les orchestres de David Bowie,Cyndi LauperPaul SimonMadonna… Elle a également chanté dans de nombreux spots publicitaires. En parallèle, Russell se produit dans des clubs de jazz en quartet : Larry Ham (p), Earl May (b) et Eddie Locke (d) ou Jimmy Wormworth (d). Sa carrière discographique débute chez World Village en 2006 avec Cat, puis Sentimental Streaken 2008, Inside This Heart Of Mine en 2010 et Strictly Romancin’ en 2012.
Russell est accompagnée d’un orchestre d’habitués, plus quelque invités pour l’occasion. Elle chante quatorze morceaux, essentiellement des standards : « I’m In The Mood For Love », « Romance In The Dark », « Satchel Mouth Baby », « Don’t Leave Me »…
Une voix d’alto éclatante, une diction intelligible, un phrasé brillant et une mise en place sûre, Russell connaît la musique ! Les soufflants et autres solistes sont généreux : les chœurs mettent en relief les discours de la chanteuse (« Under The Spell Of The Blues »), l’accordéon et la guitare apportent une touche manouche (« Everything’s Been Done Before »), le trombone est entraînant (« I’m Checkin’ Out, Goom’Bye »), la section rythmique swingue avec énergie (« Satchel Mouth Baby »)…
Ballades, gospel, manouche, blues, boogie-woogie, charleston, marches… Russell passe en revue le passé avec une sensibilité et un entrain contagieux.
Le disque
Strictly Romancin’
Catherine Russell
Catherine Russell (voc), Matt Munisteri (g, bj, voc), Andy Farber (ts), John Allred (tb), Dan Block (as, cl), Mark Shane (p), Mark MacLean (d), Lee Hudson (b), John-Erik Kellso ( ), Joe Barbato (acc), Aaron Wenstein (vl) et Carline Ray (voc).
Jazz Village – Harmonia Mundi
Sortie en février 2012

Steve Kuhn Trio – Wisteria

Steve Kuhn a enregistré ses premiers disques pour ECM dans les années soixante-dix. Il collabore avec Steve Swallowdepuis plus de cinquante ans et avec Joey Baron depuis plus de vingt ans, mais les trois musiciens n’avaient encore jamais joué ensemble en trio jusqu’à Wisteria (ECM).
Né à Brooklyn en 1938, Kuhn commence l’apprentissage du piano à cinq ans et, installé à Boston, suit les cours d’une adepte de l’école russe, Margaret Chaloff. Kuhn débute sa carrière en club dès l’âge de treize ans avec le fils de son professeur, le saxophoniste baryton Serge Chaloff. Sorti d’Harvard, Kuhn rejoint la Lenox School of Music et intègre le combo de Kenny Dorham. En 1960 il joue quelques semaines dans le quartet de John Coltrane. Il rejoint ensuiteStan Getz, puis Art Farmer et monte un trio avec Swallow et Pete LaRoca. En 1966 Kuhn forme un groupe avec Gary McFarland dans la veine du Third Stream. Manfred Eicher les remarque et signe Kuhn pour ECM : son premier disque, Trance, sort en 1974, suivi d’Ecstasy, enregistré en solo. Dans les années quatre-vingt, Kuhn s’associe à Ron Carter et Al Foster pour enregistrer une série d’albums pour ECM (Live At The Village Vanguard et Live At Birdland). Depuis les années quatre-vingts dix, Kuhn continue de tourner et d’enregistrer abondamment, de préférence en trio.
Swallow est né en 1940 à New York. Il commence par le piano avant de se tourner vers la basse à l’âge de quatorze ans. Etudiant à Yale, Swallow joue dans les clubs et fait la connaissance de Paul et Carla Bley en 1960. Il s’installe à New York où il joue avec Bley dans le trio de Jimmy Giuffre, mais également dans le sextet de George Russellainsi que de nombreux autres musiciens - Joao GilbertoBenny GoodmanAl CohnClark TerryChick Corea... En 1964 il joue chez Farmer avec, entre autres, Kuhn. L’année suivante, il rejoint Getz avec qui il reste trois ans. 1968 marque le début d’une collaboration avec Gary Burton qui dure encore aujourd’hui. En 1970 Swallow abandonne la contrebasse pour la basse. Au milieu des années soixante-dix il enseigne au Berklee College of Music et contribue à la publication du Real Book. En 1978 il entre dans l’orchestre de Carla Bley. Depuis, Swallow joue avec Bley, anime ses propres groupes et a accompagné un nombre incalculable de musiciens.
Cadet du trio, Baron est né en 1955, apprend la batterie à neuf ans et commence très jeune à jouer dans des groupes de jazz, rhythm and blues, country, musique latino… C’est à Boston qu’il rejoint la scène du jazz aux côtés de Jim HallJay McShannTony BennettHampton Hawes… Dans les années quatre-vingt, outre Enrico PieranunziToots ThielemansFred Hersch, Baron joue avec Bill FrisellEllery EskelinJohn Zorn… avec qui il collabore encore aujourd’hui.
Kuhn a composé sept des onze morceaux de Wisteria, « Dark Glasses » est signé Swallow, « Wisteria » est un thème de Farmer (Early Art – 1954), « Permanent Wave » a été écrit par Carla Bley pour l’album The Carla Bley Big Band Goes To Church (1996) et « Romance », est une chanson des musiciens brésiliens Dori Caymmi et Paulo César Pinheiro, mise en parole par Tracy Mann pour une interprétation parSarah Vaughan (Brazilian Romance – 1987).
Avec ses walking (« Chalet », « Morning Dew »), ses chabadas (« Permanent Wave »), ses stop-chorus (« Good Lookin’ Rookie »), la structure thème – solos – thème… le trio s’ancre dans la tradition du bop. La musique de Wisteria est animée (« Promises Kept ») : motifs dansants (latino, « Dark Glasses », ou de valse, « Permanent Wave »), rythmes vifs (« Good Lookin’ Rookie »), ballades entraînantes (« Pastorale »)…
Kuhn et Swallow sont des musiciens raffinés et Baron a conservé toute sa délicatesse, « malgré » la fréquentation assidue de Zorn et autres expérimentateurs free. Le batteur maintient le trio sous pression sans aucune brusquerie (chabadas rapides, roulements serrés, poly-rythmes touffus…) et n’accapare jamais le devant de la scène (il ne prend qu’un solo, sous forme de stop-chorus). Au milieu des walking discrètes et autres motifs aériens, les chorus de la basse explorent le registre aigu. Sous les doigts agiles de Swallow, la basse devient une guitare. Toucher élégant, phrasé volontiers legato, main gauche qui swingue, Kuhn passe d’envolées ternaires rapides à des développements d’une grande sensibilité.
Equilibre et musicalité sont au cœur des préoccupations du trio, mais jamais au détriment de la personnalité des musiciens. Kuhn, Swallow et Baron mettent du free dans leur bop et Wisteria se distingue par un classicisme d’une élégante modernité.
 Le disque
Wisteria
Steve Kuhn Trio
Steve Kuhn (p), Steve Swallow (b) et Joey Baron (d).
ECM 2257
Sortie en mai 2012
Liste des morceaux
01.  « Chalet » (6:24).
02.  « Adagio » (7:04).
03. « Morning Dew » (6:34).
04. « Romance », Dori Caymmi, Tracy Mann & Paulo César Pinheiro (4:28).
05. « Permanent Wave », Carla Bley (6:37).
06. « A Likely Story » (6:44).
07. « Pastorale » (6:16).
08. « Wisteria », Art Farmer (5:47).
09. « Dark Glasses », Steve Swallow (5:52).
10. « Promises Kept » (5:32).
11. « Good Lookin' Rookie » (5:51).
Toutes les compositions sont signées Kuhn sauf indication contraire.

Yuval Amihai Ensemble

Arrivé en Europe au milieu des années deux mille, Yuval Amihai a créé un quintet pour jouer sa musique, empreinte de traditions moyen-orientales, de chants populaires israéliens et de jazz.
Après un apprentissage classique du piano et de la guitare, Amihai passe à la guitare électrique pendant son adolescence et commence sa carrière professionnelle à seize ans. Diplômé de l’académie de Musique de Jérusalem et de l’école de jazz Rimon de Tel Aviv, il s’installe à Paris en 2005 où il intègre le département jazz du Conservatoire à Rayonnement Régional de Paris. Amihai en sort en 2007 et monte le Yuval Amihai Ensemble l’année suivante. Depuis, le groupe a remporté de nombreux prix (La Défense, Tremplin jazz à Saint-Germain-des-Près, Concours International de Jazz à Hoeilaart en Belgique…) et n’a cessé de tourner en Europe.
Damien Fleau débute au saxophone dans la classe d’André Villéger, au conservatoire du neuvième arrondissement de Paris. C’est encore Villéger qui sera son professeur quand il rejoint le Centre des Musiques Didier Lockwood. En compagnie du Yuval Amihai Ensemble, Fleau remporte le troisième prix d’instrumentiste au Concours National de Jazz de La Défense en 2009.
Etienne Bouyer joue du violon jusqu’à onze ans puis se tourne vers le saxophone. Au Conservatoire National à Rayonnement Régional de Nice, il étudie le saxophone classique et la musique contemporaine. A dix-sept ans, il s’inscrit à l’American School of Modern Music de Paris. Il en sort en 2004 pour intégrer le Centre des Musiques Didier Lockwood où il étudie avec Villéger, mais aussi Pierrick Pedron,Sylvain Beuf… Bouyer partage ensuite sa carrière entre l’apprentissage (séjours à New York, CRR de Paris, Conservatoire Royal de Bruxelles…), ses groupes (Cécile Brochet & Etienne Bouyer Quartet, Etienne Bouyer Group, Orchestre de Soundpainting de Lorraine…) et l’enseignement au Conservatoire de Musique et de Danse de Châtenay-Malabry, au CRR d’Amiens… (Bouyer a reçu son diplôme d’Etat de professeur de musique en 2011).
Originaire de Malte, Oliver Degabriele partage son temps entre la photographie et la basse dont il joue au sein du groupe d’Ethio-jazz Akalé Wubé, Oxyd d’Alexandre Herer, Festen (avec les frères Fléau etJean Kapsa (p))…
En 2002 Gautier Garrigue sort du CRR de Perpignan où il a étudié la guitare et la batterie. Après quelques années de pratique dans le sud, il décide de s’installer à Paris en 2007. A partir de là sa carrière décolle aux côtés de musiciens aussi variés que David EnhcoRoberto NegroSébastien LladoEric Barret… Garrigue poursuit également une carrière d'enseignant à la Bill Evans Piano Academy de Paris. 
Amihai a composé les neuf morceaux de son premier disque en leader. Il faut reconnaître que le guitariste a un talent évident de mélodiste (« Kmo yam »). Marqué par des influences moyen-orientales (« Rikud lashalom », « Ma avareh »…), son lyrisme se rapproche parfois d’une musique de film (« Aller simple », « Shmuel ») ou d’une ambiance « médiévale » (« Kadimuchka », « Cher Mr Wiesel »).
Le guitariste soigne également ses arrangements. Le quintet est propulsé par une batterie foisonnante, mais sans brutalité, et des lignes de basse fluides, dans lesquelles se glissent quelques passages en walking (« Kadimuchka », « Aviv »). Les soufflants et la guitare passent d’unissons dissonants (« Rikud lashalom », « Shmuel ») à des contrechants mystérieux (« Cher Mr Wiesel »), des chœurs délicats (« Ma avareh »), des dialogues subtils (« Aller simple »)… avec toujours cette pointe de nervosité, indispensable pour éviter que la musique ne tombe dans le sirupeux.
Les solistes ne sont pas reste. Degabriele prend des chorus rythmés et chantants (« Kmo yam » où son jeu rappelle un peu celui d’Henri Texier) et son duo avec le soprano de Fréau (?) dans « Kadimuchka » est captivant. Bouyer alterne solos sinueux (« Aller simple », « Ma avareh ») et interventions tendues (« Aviv », dans une veine Sonny Rollins), le tout servi par un son ample. Ampleur qui se marie bien avec la sonorité toute en rondeur du soprano de Fléau. Ce dernier se montre bien inspiré (« Kmo yam ») et moderne (« Shmuel »). Dans « Cher Mr Wiesel », Bouyer et Fréau prennent un duo de toute beauté (au soprano). Une sonorité chaude, quasiment acoustique, des chorus mélodieux, mais incisifs, un accompagnement sobre, mais efficace… autant de caractéristiques qui font d’Amihai un musicien séduisant.
A la fois flatteuse et inventive, la musique de Yuvai Amihai Ensemblepossède un charme incontestable.
Le disque
Yuval Amihai Ensemble
Damien Fleau (ss), Etienne Bouyer (ts, ss), Yuval Amihai (g), Oliver Degabriele (b), et Gautier Garrigue (d).
Absilone / Socadisc
Sortie le 14 mai 2012 
Liste des morceaux
01. « Rikud lashalom (dance for peace) » (6:02). 
02. « Kmo yam (like the sea) » (5:21).   
03. « Aller simple » (6:23).   
04. « Kadimuchka » (6:03).   
05. « Cher Mr Wiesel » (9:27).   
06. « Ma avareh » (5:27).   
07. « Aviv (springtime) » (8:01).   
08. « Shmuel » (4:57).   
09. «... retour » (5:59).   
Toutes les compositions sont d’Amihai.
Concert le 20 septembre 2012 à L'entrepôt à 21:30.

Daniel Schläppi – Essentials

Enregistré en 2005, Forcesmontre que la musique deDaniel Schläppi est d’un caractère bien trempé.Essentials, un duo avec Marc Copland sort le 13 septembre 2012, confirme que le contrebassiste helvète est musicien singulier qui mérite le détour.
Dans les années quatre-vingts dix Schläppi parcourt l’Europe et enregistre avec Twice A Week, joue dans le Stewy v. Wattenwyl Trio, accompagne Bill Holden… Au début des années deux mille Schläppi forme un trio avecColin Vallon et Jürg Bucher, un duo avec Tomas Sauter et enregistreForces avec un quartet composé de Vallon (p), Nils Wogram (tb) etSamuel Rohrer (d) etc. En parallèle, il participe à l’orchestre de world music, Scala Nobile, de Sandro Schneebelis, joue pour une création vidéo de Seline Baumgartner réalisée pour la Foire de Bâle, crée le label Catwalk avec Sauter en 2005… 
Copland joue d’abord du saxophone, notamment aux côtés de John Abercrombie et Chico Hamilton. Déçu par ses essais à l’alto électrifié, il quitte New York, abandonne le saxophone et  apprend le piano. Quand il revient sur le devant de la scène du jazz, au milieu des années quatre-vingt, Copland a plus de trente ans. Son jeu au piano fait sensation et il accompagne James MoodyJoe LovanoWallace Roney… Mais, rapidement, Copland délaisse le rôle de sideman pour monter un trio avec Gary Peacock et Billy Hart. Savoy le fait enregistrer avec Randy BreckerBob Berg et Dennis Chamber, puisDrew Gress, Abercrombie et Hart. Copland apprécie particulièrement l’art du duo : avec Greg Osby, Peacock, Bill Carothers ou… Schläppi.
Essentials est construit comme une suite – à propos de son disque Schläppi parle d’ailleurs de musique de chambre contemporaine – de neuf mouvements séparés par huit cadences signées Schläppi (intitulées « Essential, Part 1 à 8 »). Quant aux mouvements, il s’agit de sept standards : « Never Let Me Go » (1956), « My Romance » (enregistré par Paul Whiteman pour le spectacle Jumbo, en 1935), « Things Aren't What They Used To Be » (tube que Mercer Ellington a composé en 1942 pendant la grève de l’ASCAP), « Meaning of the Blues » (1957), « Solar » (attribué à Miles Davis dans Walkin’, en 1954, mais sans doute « emprunté » à Chuck Wayne…), « Work Song » (un hit de Nat Adderley pour l’album éponyme – 1960) et « Yesterdays » (le saucisson de la comédie musicale Roberta – 1933). S’ajoutent à ces classiques « The Face of the Bass » d’Ornette Coleman (Change Of The Centuryavec Don CherryCharlie Haden et Billy Higgins – 1960) et « Between Now and Then » de Copland (composé en 2008 pour Time Being, un disque de Jason Seizer avec Matthias PichlerTony Martucci et Copland).
Les « Essentials » mettent en avant la contrebasse avec une alternance de ligne mélodieuse (numéros 1, 7 et 8), de rifs (numéro 4) et de phrases rapides (numéro 5). Ces cadences permettent d’apprécier non seulement les qualités de mélodistes de Schläppi, mais aussi sa sonorité boisée et son phrasé agile et précis. L’élégance et la souplesse de son jeu le placent dans la lignée d’un Gary Peacock et d’un Scott LaFaro. Quand le piano de Copland dialogue avec la contrebasse de Schläppi, la musique part dans des contrepoints (lignes staccato dans le numéro 2), des jeux harmonico-rythmiques (numéro 3) ou des montées mélodiques sophistiquées (numéro 6) proches de la musique contemporaine. Quand le duo interprète les standards, il dose savamment tradition – passages en walking de Schläppi (« Things Aren't…», « Solar »…), rappels bluesy (« Work Song »)  ou phrases syncopées de Copland (« My Romance », « Never Let Me Go »…) – et modernisme dans le traitement des thèmes (« », « Solar »), les développements aux accents folk, un peu comme Keith Jarrett (« My Romance », « Meaning Of The Blues »…), les chorus impressionnistes (« Yesterdays », « Between Now And Then »), les accompagnements souvent décalés (« Things Aren’t… », « Change Of Century »)…
Schläppi et Copland sont des artistes exigeants, soucieux de proposer une musique inventive, vivante, élégante… autant de qualificatifs qui viennent immédiatement à l’esprit à l’écoute d’Essentials.
Le disque
Daniel Schläppi
Essentials
Daniel Schläppi (b) et Marc Copland (p)
Catwalk - CW 120010-2
Sortie en septembre 2012
Liste des morceaux 
01. « Essential, Pt. 1 » (0:42). 
02. « Never Let Me Go », Jay Livingston & Raymond Evans (7:34).
03. « My Romance », Richard Rodgers & Lorenz Hart (5:55).
04. « Essential, Pt. 2 » (3:40). 
05. « Things Aren't What They Used To Be », Mercer Ellington (5:57).
06. « Essential, Pt. 3 » (3:28).
07. « Between Now and Then », Copland (5:31). 
08. « Essential, Pt. 4 » (2:02). 
09. « The Face of the Bass », Coleman (3:41).
10. « Meaning of the Blues », Bobby Troup & Leah Worth (8:54). 
11. « Essential, Pt. 5 » (2:24).
12. « Solar », Miles Davis (3:44). 
13. « Essential, Pt. 6 » (4:29). 
14. « Work Song », Nat Adderley (5:00). 
15. « Essential, Pt. 7 » (1:33). 
16. « Yesterdays », Jerome Kern & Otto Harbach (7:19). 
17. « Essential, Pt. 8 » (1:55). 

Tous les morceaux sont signés Schläppi sauf indication contraire.