22 novembre 2014

Mai 2011

Le village du monde… Partie III – Harold Lopez Nussa

El pais de la maravillas
Troisième volet des disques et des concerts de printemps de World Village : le trio du pianiste Harold Lopez Nussa, avec Felipe Cabrera à la contrebasse et son frère, Ruy Adrian Lopez Nussa, à la batterie. Le trio invite également le saxophoniste ténor portoricain David Sanchez à partager leur musique.
Une mère professeur de piano, un père percussionniste, un oncle pianiste émérite… l’environnement de Lopez Nussa le prédispose à une carrière musicale. Après l’apprentissage du piano classique, il intègre le Conservatoire Manuel Saumell où il est l’élève de la célèbre soliste, Teresita Junco. C’est également à cette époque qu’il découvre le jazz. Lopez Nussa termine ses études à l’Institut Supérieur de l’Art. Le pianiste partage son temps entre classique - le concerto en sol deMaurice Ravel avec l'orchestre symphonique Matanzas… - et jazz. En 2005, il remporte le premier prix du Montreux Jazz Piano. En parallèle, Lopez Nussa accompagne aussi Portuondo. Depuis 2007 il a enregistré quatre albums et El pais de las maravillas est le deuxième disque pour World Village.

Le concert de Lopez Nussa, le 13 mai au New Morning, est proche du disque, mais avec une présence, du volume et le public en plus… Le premier set du concert reprend cinq morceaux d’El pais de las maravillas - « E’cha », « Guarija », « El pais de las maravillas »,  « Caminos » et « La fiesta va » - et le tube de Cesar Portillo de la Luz, «  Contigo en la distancia ».
Comme ses confrères Yaron HermanTigran HamasyanWajdi Cherifet d'autres, Lopez Nussa propose un patchwork musical composé de tradition, de classique et de jazz.
Fidèle à son origine, le trio place le rythme au centre de sa musique. Lopez Nussa jongle du ternaire à la « clave », du romantisme à la salsa. Cabrera, solide comme un roc, alterne rifs profonds et sinuosités graves. Ruy Adrían Lopez Nussa impressionne pour sa polyrythmie virtuose, souvent inattendue et toujours précise.
Chaque morceau rebondit au gré des changements de rythmes et des ambiances. « Guarija » commence par un trio de « palmadas », débouche sur un joli thème dansant aux contours latins bien marqués, se poursuit par un solo du piano dans une veine jazz, soutenu par les rifs denses de la contrebasse et les crépitements de la batterie, puis se conclut sur les roulements des tambours. Sanchez rejoint le trio pour « Caminos », une mélodie qui permet au saxophoniste ténor de développer son jeu, moderne, puissant et nerveux, tandis que la section rythmique alterne accords latinos et jazz avec beaucoup de vivacité. « Caminos » pourrait sortir tout droit de Street Scenes ouMelaza, deux albums enregistrés par Sanchez à la fin des années 90.Après un « Interludio » teinté de romantisme, le trio et Sanchez jouent le morceau titre, évocation vigoureuse du voyage d’Alice au pays des merveilles, avec des échanges débridés entre le ténor et le trio, qui continue à faire virevolter les rythmes. Sanchez apporte également son énergie dans « La fiesta va », « E’cha » et « Volver », avec ce style si caractéristique, à la fois dissonant et dansant. Dans « Perla marina », Lopez Nussa passe à la ballade, mais les trois compères ne peuvent s’empêcher d’intercaler astucieusement des passages de salsa qui mettent du piment dans leurs dialogues. Cabrera prend un chorus imposant dans « A Camilin », superbe boléro interprété avec nonchalance, certes, mais toujours saupoudré d’un zest de tension. Dans « Pa’gozar » et « Bailando Suiza », le piano s’en donne à cœur joie et marie le jazz à la musique cubaine dans un feu d’artifice de notes, porté par une paire rythmique explosive. Avec ses accents folks qui viennent se mêler aux touches latines, « Amanecer », pour sa part, dégage une sensibilité particulière et décalée.
Le grand poisson rouge (« El gran pez rojo »), peinture de Roberto Fabelo qui orne la pochette du disque, représente un délire onirique autour de la chère et de la chair. Il illustre le pays des merveilles et la fantaisie du trio, mais ne rend pas vraiment compte de la vigueur prodigieuse que dégage la musique du trio : les chorus ébouriffants et les ricochets rythmiques d’El país de las maravillas entraînent l’auditeur dans un formidable tourbillon musical…
Le disque
El país de las maravillas
Harold Lopez Nussa (p), Felipe Cabrera (b) et Ruy Adrian Lopez Nussa (d, vib, & cajon), avec  David Sanchez (ts).
World Village - 479061
Avril 2011
La liste des morceaux
  1. « Guarija », Ruy Adrían Lopez Nussa (03:26).
  2. « Caminos » (04:45).
  3. « Interludio » (01:41).
  4. « El País de las Maravillas » (06:39).
  5. « La fiesta va » (05:03).
  6. « Perla marina » (03:04).
  7. « Pa'gozar » (03:38).
  8. « A Camilin » (05:26).
  9. « E'cha » (05:28).
  10. « Bailando Suiza » (03:11).
  11. « Volver » (03:29).
  12. « Amanecer » (02:36).
Les compositions sont signées Harold Lopez Nussa, sauf indication contraire.

Le village du monde… Partie II – Omar Sosa

Calma
La sortie de Calma, cinquième disque en solo d’Omar Sosa, est l’occasion de pénétrer dans l’un des univers de ce pianiste, qui fait figure de cas à part dans le panorama du jazz contemporain.


Né à Cuba en 1965, Sosa commence par jouer des percussions et du marimba au conservatoire de Camagüey, sa ville natale. Son père, enseignant, et sa mère, employée de bureau, sont tous les deux mélomanes et écoutent aussi bien de la musique classique que de la musique cubaine. Sosa rejoint ensuite l’École Nationale de Musique de La Havane, où l’absence de marimba le pousse à apprendre le piano. En 1983, à l’Institut Supérieur d’Art de La Havane, Sosa termine son cursus musical. C’est pendant ses études à La Havane qu’il découvre le jazz, avec une prédilection pourThelonious Monk. Fort de ses expériences en musique classique et en musique populaire cubaine, Sosa profite de toutes les situations pour enrichir son bagage musical : de la pop cubaine au folklore d’Esmeraldas (il s’installe un temps en Équateur), de la musique des Baléares (il séjourne à Palma de Majorque) au latin jazz (il pose ses valises à San Francisco en 1995)… En 1996, à Oakland, Sosa créé Otá Records avec Scott Price, pour publier ses disques. Établi à Barcelone à partir de 1999, le pianiste n’en continue pas moins de parcourir le monde pour jouer et enregistrer dans des contextes très variés :Bembon en Équateur (1999), Prietos (2001) et Sentir (2002) inspirés par la musique Gnawa, Ayaguna (2003) avec le percussionniste vénézuélien Gustavo OvallesA New Life (2003) en solo à Big Sur,From Our Mother (2003), une commande pour le Oakland East Bay Symphony, Pictures Of Soul (2004) un duo avec le percussionniste de Los Angeles Adam Rudolph etc.
En 2004, Mulatos marque un tournant dans la discographie de Sosa. Enregistré en sextet - Dhafer Youssef (oud), Renaud Pion (cl), Dieter Ilg (b), Steve Argüelles (d), et Philippe Foch – cet album est une synthèse des sources d’inspirations de Sosa, véritable lexique de l’idiome musical du pianiste : des rythmes afro-cubains et indiens associés au jazz, des mélodies orientales mêlées aux mélodies classiques européennes, des effets électroniques, et le tout traité avec une sensibilité jazz. A partir de Mulatos, chaque concert et album donnent l’occasion à Sosa de mettre l’accent sur les racines latines (Live à FIP – 2006), africaines (Promise – 2007, Afreecanos - 2008,Tales of The Earth - 2009) et afro-américaines (Across the Divide – 2009, Ceremony - 2010). En parallèle, Sosa continue d’explorer les solos, comme avec Calma, sorti en mars 2011.
Entre « Sunrise » qui ouvre Calma et « Sunset », qui le conclut, Sosa joue onze morceaux de son cru, dont les titres traduisent l’esprit de l’album : l’absence, l’innocence, l’espoir, la réflexion, l’introspection, les fleurs, l’eau, la mère… Comme l’écrit le pianiste dans les notes de la pochette : « chaque morceau inspire le suivant et l’improvisation est la base de l’expression musicale. J’ai voulu jouer du début à la fin sans penser – juste essayer de sentir là où chaque note m’emmenait, en suivant la voix de mon âme. Il est possible que le silence, le désir, l’espoir, l’optimisme et la tristesse voyagent main dans la main dans la plupart de ces chants ».
Élégant (« Sunrise » et « Sunset ») et minimaliste (« Autumn Flowers »), Sosa place soigneusement ses notes et ses silences, sans autre contrainte que ses idées du moment. Spirituelle et introspective, sa musique mêle un romantisme sobre avec des touches contemporaines. Dans la plupart des morceaux, Sosa joue avec des chœurs électroniques, nappes de sons qui tissent une toile de fonds diaphane, et mettent en relief la sonorité brillante du piano. Il utilise également le Fender (« Walking Together »), le jeu dans les cordes (« Oasis ») et autres effets (les chants africains dans « Aguas ») pour pimenter ses propos. Un toucher puissant et un phrasé subtil permettent à Sosa de jongler avec les nuances : nostalgique (« Absence »), dansant (« Aguas »), mélancolique (« Looking Within »), enjoué comme dans une comptine (« Dance of Reflection »), mystérieux (« Reposo »)…
Calma est un disque méditatif qui porte bien son nom ! Sosa joue sa musique, loin des modes et des courants, en toute liberté, et plonge l’auditeur dans son intimité spirituelle.
Solo et Afri-lectric Quintet au New Morning
Sosa présentait Calma au New Morning, le 14 avril. L’occasion d’écouter son solo en concert, mais aussi de découvrir son nouveau projet : l’Afri-lectric Quintet, avec Joo Krau (tp), Leandro Saint-Hill(sax), Childo Tomas (el b) et Marque Gilmore (d). Ces musiciens gravitent tous dans la sphère de Sosa depuis le milieu des années 2000, à l’exception de Krau, nouveau venu dans le quintet.

Musicien charismatique qui transcende les genres, Sosa attire un public large. Des danseurs de salsa aux amateurs de jazz en passant par les inconditionnels de « musiques du monde » : le New-Morning fait salle comble !
Sosa ouvre le concert par deux pièces de Calma en solo  – « Sunrise » et « Esperanza ». Dans la plupart des sept morceaux qui suivent, le pianiste joue l’introduction en solo, en reprenant ça et là des extraits de Calma, puis le quartet entre en scène pour les développements.
« Prenez le temps dont vous avez besoin, pour jouer ce que vous avez à dire. » Tel semble être le leitmotiv de Sosa. Donc, avant de se lancer dans leur chorus, les musiciens plantent leur décor sans se soucier du temps : les morceaux durent de cinq à trente minutes. Cette approche n’est pas sans évoquer le Miles Davis de la période électrique ou, dans le monde world, Fela Kuti : le climat prime sur le cri.
Sosa maintient une tension intense dans chacun de ses morceaux grâce à une maitrise incomparable des rythmes et une vitalité à revendre. Chaque pièce mélange allégrement parties latinos, jazz, world, rock, blues, contemporaines, fusion, rap, free… avec des changements de tempos abrupts, des belles mélodies malléables, un sens de la danse indéniable… La musique foisonne : des rifs hypnotiques, du rap, de l’« human beatbox », une basse groovy, une batterie puissante et des soufflants qui ne lésinent pas sur les effets (comme chez Davis, bien sûr, mais aussi, Jan Gabarek ou David Sanborn – notamment la réverbération de l’alto).
Une autre force indiscutable de Sosa est de savoir s’entourer de musiciens qui servent parfaitement sa musique : Tomas et Gilmore assurent un groove indéfectible, tandis que Saint-Hill et Kraus jouent les jolis chœurs.
Jazz ou musique du monde, improvisée ou pas, accroche-cœur ou cérébrale : Sosa joue sa musique, sans se soucier des modes. C’est à prendre ou à laisser, selon l’humeur...
Le disque
Calma
Omar Sosa (p)
Ota 1022
Mars 2011
La liste des morceaux
  1. « Sunrise » (3:47)
  2. « Absence » (4:00)
  3. « Walking Together » (3:38)
  4. « Esperanza » (5:23)
  5. « Innocence » (3:25)
  6. « Oasis » (3:10)
  7. « Aguas » (3:37)
  8. « Looking Within » (5:02)
  9. « Dance of Reflection » (3:45)
  10. « Autumn Flowers » (3:33)
  11. « Reposo » (3:31)
  12. « Madre » (3:18)
  13. « Sunset » (4:05)
Toutes les compositions sont signées Sosa.

Le village du monde et ses musiques

Label d’Harmonia Mundi créé en 2001, World Village propose un catalogue autour de trois lignes éditoriales : des « musiques du monde », des « inclassables » et du « jazz ». Le label vient de sortir trois disques d’artistes cubains :Omara & Chucho, avec la chanteuse Omara Portuondo et le pianiste Chucho Valdés,Calma, un solo d’Omar Sosa, et El País de las Maravillas du trio d’Harold Lopez Nussa.
   Les trois disques sont totalement différents et méritent tous un détour. Omara et Chucho dialoguent avec un brin de nostalgie dans des « boleros blues», Sosa joue sur un minimalisme intimiste et contemporain, et Lopez Nussa table sur un jazz moderne pimenté d’idiosyncrasie cubaine.
Partie I - Omara Portuondo et Chucho Valdés
Omara & Chucho
   Les deux musiciens sont amis depuis les années 60, jouent ensemble dans La Orquesta Aragon et enregistrent Desafíos en 1997. Depuis, ils souhaitaient enregistrer un nouveau disque ensemble. Voilà qui est chose faite.
   Après avoir été danseuse, membre du célèbre quartet vocal Cuarteta Las D’Aida, Portuondo devient célèbre lorsqu’elle participe au Buena Vista Social Club (1996). Depuis, elle joue dans de nombreuses formations et écume les scènes du monde. En 2009, pour ses soixante ans de carrière, Portuondo sort Gracias avec Roberto Fonseca (p), Swami Jr (g), Avishai Cohen (b), Andres Coayo (perc) et Trilok Gurtu (perc), sans oublier Valdés, Richard Bona (b) et Chico Buarque (voc). Valdés a de qui tenir : son père, Bebo Valdés, est l’un des pianistes « historiques » de Cuba. Élevé dans un environnement musical, Valdés commence l’apprentissage du piano classique au conservatoire, puis se met au jazz dès quatorze ans. Irakere, créé en 1973, propulse Valdés sur les devants de la scène du jazz. Depuis, le pianiste a joué aux quatre coins du monde, en solo, avec ses formations ou en compagnie d’orchestres symphoniques...

   Le répertoire du disque se concentre sur des « boleros », « filin » et autres « sons ». Á côté des stars cubaines, César Portillo de la Luz,José Antonio Méndez (qui joua avec Portuondo dans le groupe Loquibambla) et Tania Castellanos, quelques compositeurs populaires tels que Juan Almeida Bosque (compagnon résistant de Fidel Castro),  Félix ReynaMargarita Lecuona ou  Fredy-Alberto Solano-Serge, et deux standards de la musique traditionnelle mexicaine, signés Maria Grever et Armando Manzanero Canché.
   Portuondo est une chanteuse expressive, à la manière de Billie Holiday ou d’Édith Piaf. Sa voix, plutôt basse, est un mélange de raucité et de velouté. Son chant alterne passages quasi-récitatifs (« Me acostumbrare a estar sin ti ») et envolées plus énergiques (« Y decídete mi amor »), mais, la plupart du temps, son phrasé est typique du boléro, une sorte de fausse décontraction, ou de nonchalance rythmée, avec quelques vibratos dans les finales. Virtuosité spontanée et maestria rythmique, Valdés est l’archétype du pianiste cubain, formé au classique, grandi à l’aune des musiques latines et amoureux du jazz. Volontiers inspirés par les romantiques (l’adagio du « Clair de lune » deLudwig van Beethoven ou Sergueï Rachmaninov en introduction d’« Alma mía »), l’accompagnement de Valdés se partage entre lignes sinueuses (« Noche cubana »), accords latinos (« Huesito »), contrepoints mélodico-rythmiques (« Si te contará »)… Le pianiste est clairement sur la même longueur d’onde que sa partenaire, et leur duo coule de source. Dans ses solos, un romantisme classique (« Mis sentimientos ») côtoie du jazz mainstraim (« Alma mía »), avec ça et là des accents bluesy (« Babalú ayé »), voire un phrasé de crooner (« Nuestra cobardía »). A noter que, dans « Esta tarde vi llover »,Wynton Marsalis associe le timbre clair et moelleux de sa trompette à la douce mélancolie d’Omara & Chucho.
   A l’écoute d’Omara & Chucho, les inconditionnels de musiques improvisées frénétiques risquent fort de rester sur leur faim. Il y a pourtant à apprendre dans les jeux rythmiques et, surtout, dans le traitement de la matière sonore qui permet au duo de faire passer une émotion intense.
Le disque
Omara & Chucho
Omara Portuondo (voc) et Chucho Valdés (p), avec  Wynton Marsalis (tp) et Rossio Jimenez Blanco (voc).
World Village - 479062
12 mai 2011
La liste des morceaux
  1. « Noche Cubana », César Portillo de la Luz (1:09) 
  2. « Claro De Luna » & « Llanto De Luna », Ludwig van Beethoven & Julio Gutierrez (4:45)      
  3. « Y Decídete Mi Amor », José Antonio Méndez (3:27)
  4. « Alma Mía », Maria Grever (5:55)    
  5. « Me Acostumbre A Estar Sin Ti », Juan Almeida Bosque (3:12)
  6. « Esta Tarde Vi Llover », Armando Manzanero Canché (8:08)    
  7. « Si Te Contara », Félix Reyna (4:27)           
  8. « Huesito », Fredy Alberto Solano-Serge (3:12)    
  9. « Mis Sentimientos », Bea Piloto (5:12)       
  10. « Nuestra Cobardia », Mendéz (3:39)
  11. « Babalú Ayé », Margarita Lecuona (5:16)  
  12. « Recordaré Tu Boca », Tania Castellanos (4:30)
  13. « Noche Cubana », Portillo de la Luz (2:13)

Patience


Patience est le premier disque d’un duo inédit : John Taylor au piano et Stéphane Kerecki à la contrebasse. Les deux musiciens se sont rencontrés depuis peu, mais l’accord est parfait.

Patience sort chez Zig-Zag Territoires. Ce label, désormais associé à Outhere, a été créé à la fin des années 90 autour de la musique classique et contemporaine. A partir de 2006, Zig-Zag Territoires a ouvert son catalogue au jazz et aux musiques du monde : Raphaël Imbert (sax) et Kerecki font partie des premiers musiciens de jazz à avoir rejoint les rangs du label.

De l’université au conservatoire et de l’économie à la contrebasse il n’y a qu’un pas, que Kerecki n’a pas hésité à franchir. Il suit les cours deJean-françois Jenny-ClarkRicardo Del Fra et Jean-Paul Celea et, quand il sort du CNSMDP, sa carrière démarre rapidement avec le quartet de Steve Potts, puis dans les groupes de Denis Colin, Guillaume de Chassy, Daniel Humair, Michel Portal, Jacky Terrasson etc. En 2003 Kerecki monte son trio avec Matthieu Donarier(saxophones) et Thomas Grimmonprez (batterie). En sept ans, le trio a sorti Story Tellers (Ella Productions - 2004), Focus Danse (Zig-Zag Territoires – 2007) et Houria (Zig-Zag Territoires – 2009), pour lequel il a invité Tony Malaby. En dehors des nombreuses tournées avec son trio + Malaby, le contrebassiste s’est lancé dans l’aventure du duo avec Taylor.

Taylor se fait connaître au début des années 70, quand il accompagne les saxophonistes Alan Skidmore et John Surman. Il devient ensuite le pianiste maison du Ronnie’s Scott. En 1977 il forme un trio célèbre : Azimuth, avec Norma Winstone et Kenny Wheeler, qui enregistre pour ECM. Dans les années 80, Taylor accompagne Jan Gabarek, Enrico Rava, Charlie Mariano, Gil Evans… Il joue également avec Lee Konitz, Steve Arguelles, Surman, Wheeler et continue d’enregistrer pour ECM. Depuis le début des années 2000, Taylor a reformé Azimuth, tourné avec Marc Johnson (b) et Joey Baron (d) ou Palle Danielsson (b) et Martin France (d), enregistré en solo (Insight chez Sketch – 2003), rejoué avec Wheeler etc. En parallèle Taylor enseigne au Collège de Musique de Cologne et à l’Université de York.

Les duos piano – contrebasse ne sont pas monnaie courante. Le superbe This One’s For Blanton (1972), avec ses dialogues savoureux entre le jeu preste et bluesy de Duke Ellington et la walking bass deRay Brown, a marqué les oreilles. Plus proche de l’esprit de Taylor et Kerecki, dans une veine Bill Evans et Scott LaFaroCesarius Alvimet Eddie Gomez ont fait sensation l’année dernière avec Forever. Mais Taylor et Kerecki font encore davantage référence aux duos de Gary Peacock avec Paul Bley (plutôt que celui avec Niels-Henning Orsted Pedersen, en 1974). Ces deux musiciens ont enregistré ensemble dès 1963 (quelques duos au milieu de trios avec Paul Motian, pour ECM), puis ils ont sorti les albums Partners et Mindset.

Le premier concert de Kerecki et Taylor remonte à septembre 2010, au Sunside, en trio avec le guitariste Nelson Veras. Le pianiste et le contrebassiste ont introduit la soirée en duo et ils ont joué, entre autres, « Kung Fu » et « Valse pour John », deux morceaux au répertoire de Patience. Huit des dix autres compositions du disque sont également signées Kerecki. Le duo joue aussi « Jade Visions » de LaFaro (Sunday At Village Vanguard – 1961), tandis que le « Prologue » et l’« Épilogue » sont le fruit d’une improvisation commune.

Comme leurs illustres aînés, Taylor et Kerecki adoptent une démarche spirituelle : intériorité et subtilité (d’ailleurs non dénuée d’humour, à l’instar de « Bad Drummer »). Intériorité parce que les deux musiciens développent les thèmes d’une manière tout à fait personnelle : ils exposent leurs idées avec minutie (« Prologue », « Gary »), dialoguent avec conviction (« Kung Fu »), se respectent (« La source ») et prennent soin de leurs lignes (« Patience »). Quant à la subtilité (l’exercice piano – contrebasse en demande pour être réussi !), elle se révèle dans le charme des mélodies (« Gary », « Jade Visions »), les nuances rythmiques (« Bad Drummer », « Valse pour John »), les jeux avec les sonorités (l’archet dans «La source », les cordes du piano dans « Manarola » etc.), la délicatesse des développements (« Épilogue ») et le groove, omniprésent.

Taylor et Kerecki jouent en symbiose. Toucher précis, phrasé limpide, mains baladeuses et idées claires, Taylor fait partie des pianistes distingués. Tour à tour minimaliste contemporain, mélodiste raffiné, rythmicien éloquent, accompagnateur sagace, le pianiste garde toujours du recul et n’hésite pas à intercaler des passages de jazz quasi-mainstream (« Manarola ») ou à glisser des citations (« La marche turque » dans « Gary »). Taylor joue beaucoup dans le registre medium, qui contraste astucieusement avec la sonorité de la contrebasse. En effet, Kerecki possède un gros son grave, ample, charnu et rond. Servi par un phrasé particulièrement mobile (« Luminescence »), ses lignes, tout en souplesse (« Manarola »), parcourent l’ambitus de la contrebasse. Il alterne motifs, bourdons, unissons, contrepoints, pédales, mouvements arpégés… Particulièrement mélodieux dans ses chorus (à croire que la « grand-mère » est une guitare !), Il reste toujours attentif aux propos du pianiste qu’il souligne habilement de ses rifs, traits ingénieux et autres coups d’archet. L’approche de Taylor et de Kerecki est un mélange de musique de chambre contemporaine (« Prologue », « Interlude »), de jazz (« Patience », « Luminescence ») et de liberté (dans tous les morceaux).

Patience est un disque intimiste, mais sans nombrilisme futile, cérébral, mais sans affectation vaine, et la personnalité lumineuse de ce duo a de quoi séduire tout un chacun.
Le disque
Patience
John Taylor (p) et Stéphane Kerecki (b)
28 avril 2011
Zig-Zag Territoires - ZZT110402
Liste des morceaux
01. « Prologue », Kerecki & Taylor (03:02).
02. « Manarola » (06:15).
03. « Patience » (05:10).
04. « Kung Fu » (04:15).
05. « Gary » (05:56).
06. « Interlude » (01:09).
07. « La source » (04:46).
08. « Valse pour John » (06:37).
09. « Bad Drummer » (03:08).
10. « Jade Visions », LaFaro (04:27).
11. « Luminescence » (04:40).
12. « Épilogue », Kerecki & Taylor (01:57).

Toutes les compositions sont de Kerecki, sauf indication contraire.

Robin Notte Quartet au Perreux

Invité de Jazz au Perreux, le claviériste Robin Notte a réuni un quartet inédit le 7 avril 2011 au Perreux, avec Max Pinto aux saxophones, Vincent Artaud à la contrebasse et Stéphane Huchardà la batterie.
Jean-Marie Machado, en résidence au Perreux, et Michel Lefeivre, directeur du Centre des Bords de Marne (CdbM), ont programmé une série de cinq concerts de jazz, dans l’auditorium Maurice Ravel du conservatoire éponyme. A en juger par la soirée Notte, Jazz au Perreux est un franc succès : la salle est quasi remplie.


En première partie du concert, un quintet d’élèves de l’atelier jazz du conservatoire du Perreux : Jordan au saxophone alto, Joachim à la guitare électrique, Alice à la basse électrique, Hippolyte au piano et Axel à la batterie. Pendant une demi-heure ces artistes interprètent trois morceaux : « Povo » de Freddie Hubbard (1973, Sky Dive), « Tell Me A Bedtime Story » d’Herbie Hancock (1969, Fat Albert Rotunda) et « Put Me On » du groupe Wise dont fait partie Notte(2006, Metrophone). Dès le démarrage le ton est donné : rythmique à base de rifs courts et de fûts puissants pour des chorus de l’alto et de la guitare en tension croissante, le tout dans un esprit funky enthousiaste. L’architecture des morceaux se maintient dans un canevas classique, la musique pourrait peut-être circuler davantage d’un instrument à l’autre (à l’instar du décalage mélodique de la guitare avec l’alto à la fin de « Put Me On ») et la lisibilité des voix se clarifiera au fil des concerts , mais la maîtrise et la vitalité de ces jeunes musiciens et les solos inspirés du saxophoniste et de son compère guitariste font plaisir à écouter et rassurent : la relève est bien là !
Notte fait partie de ses musiciens nés à l’aube des années 80 fortement influencés par le rap, jungle, house, hip-hop… En parallèle à ses activités de DJ, Notte apprend le piano et s’intéresse rapidement au jazz. En 1995, il monte son premier groupe de jazz et décide de consacrer sa vie à la musique. Avec le Robin Notte Quintet, il remporte le premier prix de composition du concours de la Défense, en 2001, et enregistre l'album  Première escale. Notte ne perd pas de vue l’électronique et continue de produire de la musique électronique pour le « clubbing ». En 2003, il crée Wise avec Julien Birot (guitare et programmation) et Guillaume Poncelet (trompette). Electrology(2004) et Metrophone (2006) sont couronnés de succès. Par ailleurs Notte joue également dans Teknic Old Skool (Drum’n’Bass et hip-hop), avec Flavio Boltro, Alex Tassel,Panam Panic (avec Pinto)… Vers huit ans, Pinto décide de devenir musicien : il commence par le conservatoire de Versailles, passe son Bac Musique et apprend le métier avec Sylvain Beuf. Passionné par tous les instruments, il joue également de la flûte traversière, du piano, de la guitare, des percussions, de le contrebasse... Pinto collectionne les prix (Jazz à Vannes, Trophées du Sunside, Jazz à Vienne etc.) et a joué avec de nombreux musiciens tels que Simon GoubertMauro Gargano, Karl JannuskaBenjamin Henock… C’est à Dijon qu’Artaud fait ses premières armes comme bassiste de jazz. En 1992 il s’installe à Paris, forme un quartet et sort un premier album remarqué : Artaud (2001). A côté de sa carrière dans le jazz, le bassiste compose pour le théâtre, la variété (Patrick BruelHenri Salvador, Dany Brillant etc.), l’électronique (Arnaud Rebotini)… En dehors de ses propres formations, Artaud joue également dans l’Orchestre National de Jazz sous la direction de Daniel Yvinek. Dans sa prime jeunesse, Huchardaccompagne son père accordéoniste et son frère pianiste, puis joue du rock. Il découvre le jazz vers quinze ans et rejoint l’école de batterie Dante Agostini, où il reste cinq ans et dont il sort avec un premier prix et les félicitations du jury. Sans œillère, Huchard joue dans les contextes les plus variés, en sideman ou en en leader : d’Élisabeth Caumont à Incroyable Jungle Beat en passant par l’ONJ, le Big Band Lumière, François JeanneauTania MariaLouis WinsbergDavid Linx, mais la liste est sans fin.


Après Electrology, dans une veine funky, et Metrophone, davantage électro-jazz, Notte revient à une formule plus acoustique et signe les neuf morceaux. L’esprit d’ensemble puise ses racines dans la musique funk des années 70 (Head Hunter, Stevie Wonder…) pour la dynamique, mais aussi chez John Coltrane (« Histoire des gens ») pour l’architecture.
Notte prend soin des mélodies (« Copy Paste », « Chemins obscurs »…) et construit sa musique sur un schéma particulièrement stimulant : le Fender Rhodes (que Notte utilise davantage que le piano) plante un décor fait de couches d’accords et / ou de notes tenues (« A New World »), les rifs minimalistes et puissants de la basse assurent la profondeur de ce décor (« Underground Landscape »), les cliquetis de la batterie garantissent la pulsation (« Les vibrations de la jungle ») et le ténor (ou le soprano) déroule ses lignes souvent free, mais toujours sinueuses (« The Civil War »)
Volontiers lyrique au piano (« Underground Landscape »), Notte joue davantage sur un mode harmonico-rythmique au Rhodes. Même s’il est le compositeur-leader du quartet, Notte n’accapare jamais la vedette. Il privilégie le jeu en équipe et laisse beaucoup d’espace à ses compères. Pinto semble avoir été marqué par Coltrane (il n’est pas le seul !). Après des démarrages plutôt paisibles, voire rythmiques, il fait monter la pression par étape (« Undergroud Landscape »). Plutôt chantant au ténor (« Saturday Morning Mob Mood »), Pinto se montre plus débridé au soprano (« The Civil War »). Artaud joue tout en souplesse et manie avec habileté les contrastes entre rifs et silences. Il a un « vrai » son de bassiste : ample et boisé, qui sert à merveille ses idées, comme dans le chorus inspiré de « Copy / Paste », ou les passages en walking de « The Civil War ». Huchard impressionne par son sens du groove, de la mélodie et des nuances.Maître des rods et des baguettes, il alterne un drummling puissant (« Les vibrations de la jungle »), bondissant (« Underground Landscape ») ou à tendance rock (« Histoire des gens »). Et son jeu, véritable jonglerie virtuose avec tous les éléments de la batterie (le fameux « tchikitchik-tchak-poum-tchik », cousin du « chabada » !...), maintient une pression permanente.
Le Robin Notte Quartet version 2011 propose un cocktail équilibré de free et de funk, une musique enjouée et dansante, à la portée de tous.