22 novembre 2014

Juin 2011

Inclinaisons au Triton – Partie II

Chevillon – Monniot – Vaillant
Le Triton – 27 mai 2011
Malades ou blessés, Michel Portal et Daniel Humair ont été contraints de déclarer forfait, mais Marion Piras a plus d’un tour dans son sac : Bruno Chevillon se retrouve avec un trio inédit, en compagnie de Christophe Monniot aux saxophones (alto et sopranino) et de Franck Vaillant à la batterie.
Chevillon est à la fois diplômé des Beaux-Arts en photographie et du conservatoire d’Avignon en contrebasse classique. Il apprend le jazz avec André Jaume au GRIM, puis rejoint l’ARFI. En 1985 Chevillon rencontre Louis Sclavis et, depuis, il a participé à la plupart des groupes du clarinettiste.  En parallèle, Chevillon accompagne de nombreux musiciens d’avant-garde : Marc DucretYves Robert,Dominique PifarélyClaude BarthélémyStéphan OlivaFrançois CorneloupFrançois RaulinDaniel HumairMichel Portal... Chevillon joue également en solo, dont un spectacle remarqué sur Pier Paolo Pasolini.


Né dans une famille de musiciens, Monnniot apprend la trompette et le saxophone au conservatoire, poursuit ses études à la faculté de musicologie de Rouen et termine par le CNSMDP. En 1995, avec le batteur Denis Charolles et le saxophoniste Cyril Sergé (remplacé parRémi Sciuto), Monniot crée La Campagnie des musiques à ouïr. Au début des années 2000, il monte Mono Mania, essentiellement axé  sur ses propres compositions. Par aileurs Monniot participe à de multiples projets : Tous Dehors, le Sacre du tympan, Baby Boom, le Jazz Ensemble, l’ONJ de Paolo Damiani
Le parcours de Vaillant a déjà été abordé dans Jazz à babord à l’occasion de l’édition Jazzycolors 2010 et du concert de Benzine avec la chanteuse Soo Bin Park.
Pendant un peu moins d’une heure le trio joue quatre morceaux tendus et un bis méditatif. La musique circule parfaitement de l’un à l’autre avec une énergie incroyable.  Le trio alterne passages acoustiques et effets électroniques sans jamais se départir d’un groove contagieux.
A l’alto, le jeu de Monniot est quelque part entre Albert Ayler pour les déchirures et Sonny Rollins pour le phrasé. Il utilise astucieusement la sonorité aigue du sopranino pour dialoguer avec la basse et la batterie. Monniot a beaucoup d’idées et ses solos fusent. Chevillon joue en souplesse avec un son énorme, une mise en place irréprochable et une aisance confondante à l’archet. Le bassiste passe d’une walking entraînante à un rif bluesy, d’une ligne sinueuse à l’archet à un motif rythmique... Vaillant fait partie de ces batteurs qui jonglent avec les poly-rythmes à l’instar, par exemple, de Stéphane Huchard. Il joue fort, vite et utilise toute la panoplie de ses percussions. Constamment à l’écoute de ses deux compères, Vaillant fonce, virevolte, tournoie et rebondit dans une tempête de rythmes.
Le trio Chevillon – Monniot – Vaillant propose une musique furieuse et sans complexe, un free contemporain sur-vitaminé, inventif et réjouissant. A quand un disque ?

Giovanni Falzone French Quartet
Le Triton – 27 mai 2011
Pour le deuxième concert de la soirée, Marion Piras a programmé le nouveau quartet du trompettiste Giovani Falzone, avec Bruno Angélini au piano, Mauro Gargano à la contrebasse et Julien Augierà la batterie.
En novembre dernier, Le Triton programmait le formidable Tinissima Quartet de Francesco Bearzatti qui permit de découvrir Falzone.Angélini est déjà bien connu de tous, notamment pour sa participation au Spiral Quartet de Philippe Poussard (Jazzycolors 2010) ou aux groupes de Christophe Marguet, mais aussi pour ses albums Never Alone (2006), Sweet Raws Suite Etcetera (2010)…


Après des études littéraires et des tournois de boxe amateur, Gargano se tourne vers la musique ! D’abord la basse électrique, puis la contrebasse classique et jazz sous la houlette de Maurizio Quintavalleet des ateliers avec Furio Di CastriPaolo Fresu et Enrico Rava. En 1998, Gargano fonde le Quartetto Moderno et enregistre Ecco ! La même année, il s’installe à Paris, s’inscrit au conservatoire du quatrième arrondissement de Paris puis rejoint le CNSMDP d’où il sort avec un premier prix avant de gagner les concours de La Défense et de Vannes. Gargano est du quartet Résistance Poétique de Marguet et enregistre Mo’Avast !, du nom du groupe qu’il a créé en 2003 avec Bearzatti, Stéphane MercierFabrice Moreau et Angélini.
Augier apprend d’abord le piano, mais à dix-sept ans il choisit la batterie et suit les cours d’Alain Bacque, qui lui donne également ses premiers gigs. Son service militaire (pendant lequel il est le percussionniste de « la batterie Fanfare ») accompli, Augier part étudier à Los Angeles, puis au Berklee College of Music. Il joue et enregistre aussi bien aux Etats-Unis qu’en Europe avec Kyle Eastwood,Amy WinhouseGeorge GarzoneLionel Loueke etc.
En près d’une heure, le quartet interprète six morceaux, tous signés Falzone. Comme il l’annonce dans une courte introduction – en français – les racines de sa musique se nourrissent de multiples terreaux : le hard-bop, bien sûr (« Fast Dot », « Mare », « Minimal Song »),  mais aussi la musique contemporaine (« The Clown », « Mare », « Freak Song ») et le rock (« Fast Dot », « The Clown »). Le tout joué avec un groove imparable (« The Clown », « Freak Song »).
Avec Falzone, le spectacle est assuré. Outre la musique, toujours dynamique, le trompettiste semble envouté : il vocifère, se tortille, joue avec des gimmicks, prend sa trompette pour une flûte de pan, s’amuse à tirer des sons inouïs de son instrument, encourage les solistes… Virtuose impressionnant, Falzone a un phrasé particulièrement clair et précis. Il affectionne les passages rapides, ce qui ne l’empêche pas d’interpréter avec inspiration « Maschera », une jolie ballade de son cru. Angélini apporte la touche de musique contemporaine (solos de « Mare » et « Freak Song ») avec ses lignes brisées, ses ruptures, ses dissonances et ses citations. Le pianiste accompagne avec beaucoup de subtilité : il place des accords qui encadrent les solistes, joue avec des passages de calme qui font ressortir la tension (« Fast Dot ») ou aligne des rifs pleins de groove (« The Clown »). Gargano est un bassiste solide, au son grave et boisé. Accompagnement robuste (« Minimal Song »), walking dynamique (« Fast Dot »), ostinato groovy (« The Clown »), contrepoints élégants (« Maschera »)… Gargano joue un rôle important dans la cohérence du discours du quartet. Augier possède une frappe plutôt sèche et mate, avec un chabada vif (« Fast Dot »), une « énergie rock » dans les passages binaires (« The Clown ») et un drumming qui peut également foisonner dans une veine free (« Mare »). La rythmique puissante n’est pas sans rappeler celle du Tinissima Quartet (Danilo Gallo et Zénon de Rossi).
Le programme du Falzone French Quartet a des points communs avec celui de l’European Ensemble (Robin Verheyen, Angélini, Gargano etLuc Isenmann) qui a sorti Meeting In Paris chez Soulnote en 2006 : un neo-bop moderne qui laisse la part belle à la musique contemporaine et au free.

Les inclinations d’Inclinaisons au Triton

Depuis 25 ans, Inclinaisons met son enthousiasme et sa passion au service des musiciens de jazz. Basée à Bordeaux et animée par l’infatigable Marion Piras, l’agence organise un festival au Triton, sur trois jours et sept concerts.

Vincent Courtois ouvre le bal
Le Triton – 26 mai 2011
C’est au quartet What Do You Mean By Silence? que revient l’honneur d’ouvrir le festival d’Inclinaisons. Créé en 2004 par Vincent Courtois, What Do You Mean By Silence?  est d’abord un trio avec François Merville aux percussions et Marc Baron au saxophone alto. Quand la chanteuse (et violoncelliste) Jeanne Added rejoint le trio, en 2005, le quartet sort un disque éponyme. En 2009, le tromboniste Yves Robert remplace Baron et le nouveau quartet enregistre Live In Berlin (juin 2010).
Courtois a suivi le parcours-type du concertiste émérite : apprentissage du violoncelle dès six ans au conservatoire d’Aubervilliers, premier prix de violoncelle et de musique de chambre, études avec Roland Pidoux et Frédérick Lodéon, diplôme supérieur d’exécution de l’École Normale de Paris… Mais quand il découvre le jazz et l’improvisation, à la fin des années quatre-vingt, il bifurque. Après des premiers pas dans l’octet de Christian Escoudé et avec Didier Levallet, Courtois crée un quartet et enregistre deux disques (Cello News et Pleine lune). Dès lors le violoncelliste joue tout azimut (Marcial SolalMichel Petrucciani,Gérard Marais…) et monte moult projets (Pendulum Quartet, Tukish Blend, Zebra 3…). Eclectique, il accompagne même les Rita Mitsouko. Sa rencontre avec Louis Sclavis date du milieu des années 90 pour des projets autour de la danse et du cinéma (Ca commence aujourd’hui deBertrand Tavernier). C’est également à cette époque qu’il rejoint l’ONJ de Levallet, le quintet de Rabih Abou Khalil, l’orchestre dePierre Favre et le trio d’Yves Robert. Dans les années 2000, ses coopérations avec Marc DucretDominique PifarelyJohn Greaves,Ellery EskelinZé JamOlivier Sens… puis le Napoli’s Wall de Sclavis amènent sa musique dans les contrées de la musique contemporaine, de l’électronique et du rock progressif. Cette évolution débouche sur le quartet What Do You Mean By Silence?, le quintet WAT (Maxime DelpierreMatthieu JérômeOlivier Lété et David Aknin) et, en 2011, The Mediums avec Robin Fincker et Daniel Erdman.


Le cursus d’Added a des points communs avec celui de Courtois : étude du violoncelle et du chant au conservatoire de Reims, découverte et apprentissage du jazz à l’IACP avec Lionel Belmondo et Sarah Lazarus, diplômée du CNSMDP et de la Royal Academy of Music de Londres… Added chante dans les formations de Denis Chairolles,Ricardo Del FraJérôme Rateau… mais aussi en trio avec Bruno Tuder et Vincent Lê Quang et avec son propre groupe, le No Sugar Added Quintet.
Robert apprend la flûte et le trombone au conservatoire de Vichy et s’oriente rapidement vers le jazz : dès 1981 il rejoint l’ARFI et le GRIM. Robert écume la scène du jazz contemporain, de l’ONJ à Ducret en passant par Bernard LubatChris McGregorDaniel Humair, Sclavis, Joëlle LéandreMichel Portal, Marais, Antoine Hervé… Il participe fréquemment à des spectacles musicaux autour de la danse, de l’opéra, du théâtre… et compose abondamment pour le cinéma.
A l’instar de ses compères, Merville est passé par le conservatoire, mais celui de Paris où il a étudié le piano, l’harmonie et les percussions. Il sort du CNSMDP avec le premier prix de percussion et celui de musique de chambre. Merville intègre l’ensemble inter contemporain dirigé par Pierre Boulez et, en parallèle, débute dans le jazz auprès de Jacky Terrasson. S’ensuivent de nombreuses collaborations : David ChevallierNoël AkchotéBojan Z (pendant près de sept ans), Ducret, Pifarély, Dave Douglas, Portal, Andy Emler, Solal... Merville devient le percussionniste « attitré » des formations de Sclavis. Il a aussi joué avec le chanteur Thomas Fersen, le jongleurVincent Berhault, monté des spectacles musicaux, créé un quartet autour de la musique d’Hermeto Pascoal


Pendant un peu plus d’une heure What Do You Mean By Silence? joue essentiellement le répertoire de Live In Berlin. Le quartet enchaîne les morceaux sans interruption. Après un démarrage fait d’unissons et de dissonances, dans une veine contemporaine, le violoncelle se mue en guitare électrique, Merville passe à une rythmique rock et Added interprète  « The World Tonight », de Greaves.
La musique de Courtois fourmille de nuances sonores : la sonorité acoustique du trombone contraste avec les effets de saturation du violoncelle ; un jeu d’archet, très musique contemporaine, alterne avec un pizzicato « rockisant » ; des boucles et autres nappes électro répondent au peaux et métaux des percussions ; la voix d’Added se fait tour à tour mystérieuse avec des vocalises profondes, mélodieuse quand elle revient au texte des chansons, ou quasiment incantatoire dans « Faible et Faiblissant » (Louis-René Des Forêts et Added).
Avec ses bruitages, la deuxième partie commence elle-aussi dans une ambiance de musique contemporaine. Suit un duo Robert – Merville captivant, puis des phrases à l’archet qui amplifie la tension. Quand le quartet entreprend « He Needs Me » (Harry Nilsson), le chant d’Added devient grave et aérien, tandis que la musique monte en puissance avec une batterie tonitruante, un violoncelle « électrocuté » et un trombone déchainé. La musique du quartet évoque « l’école » de Canterbury (le Soft Machine de Third). Après cette furie, le quartet joue « Between The Bliss » (Greaves et Courtois), superbe thème-rif entêtant, introduit par le violoncelle et soutenu par une batterie particulièrement dansante. Added déroule un chant mélancolique et profond, tandis que Robert joue de la flûte avec un phrasé qui évoque, ça et là, la musique latino.
Pour le bis, le quartet se lance dans un rock pure souche : rif violent du violoncelle, batterie rock entraînante, trombone en chœur et chant expressif… Sclavis et Matthieu Metzger rejoignent le quartet. L’harmonica de Sclavis apporte la touche « mid-west »... Il faut imaginer Canterburry à la sauce Bruce Springsteen.
Une vitalité débordante, des sonorités inouïes, des mélodies acides et un groove contagieux : la musique de What Do You Mean By Silence? passe le mur des sons contemporains, jazz, rocks alternatifs… et laisse pantois.

Louis Sclavis, de Charybde en Scylla
Le Triton – 26 mai 2011
En 2005 Sclavis crée L’imparfait des langues, un quintet qui regroupeMarc BaronMaxime DelpierrePaul Brousseau et François Merville.  Trois ans plus tard, le célèbre « poly-soufflant » souhaite poursuivre les recherches musicales de ce quintet et monte un nouveau groupe : De Charybde en Scylla, toujours en compagnie de Delpierre et Merville, mais avec Matthieu Metzger aux saxophones et Olivier Létéà la basse.
Avec Levallet, Portal, Lubat, Texier, Humair… et d’autres, Sclavis fait partie des ces jazzmen qui ont créé un langage musical spécifique, une sorte de « free à la française », mélange d’influences multiples : de la musique contemporaine au rock, sans oublier les musiques du monde et autres folklores. Sclavis est passé par le conservatoire de Lyon, et c'est encore à peine adolescent qu'il joue avec le Workshop de Lyon, le Marvelous Band et la Marmite Infernale. En 1982 il monte son premier groupe, Le Tour de France, dans lequel on retrouve, entre autre, Yves Robert. Le très remarqué Clarinettes (1984) est son premier disque en solo. Son quartet avec Bruno ChevillonChristian Ville et François Raulin remporte un vif succès, couronné par le disque Chine (1987), avec Dominique Pifarely. Le même groupe enregistre égalementRouge, en 1992 chez ECM. Sclavis monte ou participe à d’innombrables projets : spectacles de danse (Mathilde Monnier, François Verret hommage à Duke Ellington (Ellington On The Air), relectures de la musique traditionnelle bretonne, trio de clarinettes, créations autour de la musique classique (Les violences de Rameau), musiques pour le théâtre (Christiane VéricelJean-Louis Martinelli), le cinéma (Jean-Louis ComolliBertrand Tavernier), la photo (Guy Le Querrec)… Le fameux Carnets de route avec Aldo Romano, Texier et Le Querrec sort en 1994, suivi de Suite africaine, en 1999. Hyperactif, Sclavis multiplie les collaborations : Acoustic Quartet (ECM – 1994) en compagnie de Chevillon, Pifarely et Ducret ; Ceux qui veillent la nuit (Chevillon et Merville) en 1994 ; Et on ne parle pas du temps avec Ernst Reiiseger(1995) ; Le phare avec Bernard Struber (1999) ; L’affrontement des prétendants (2000) avec Chevillon, Merville, Courtois et Jean-Luc Cappozzo ;  I Dream Of You Jumping (2002) avec Fred Frith et Jean-Pierre Drouet… Le quartet Napoli’s Wall et le disque éponyme (2003) avec Courtois, Médéric Colignon et Hasse Poulsen marque les esprits et sera suivi, deux ans plus tard, d’un Big Napoli. Les formations L’imparfait des langues, puis De Charybde en Scilla, prennent la relève.


Metzger suit des études de musicologie à l’université de Poitiers et des cours de saxophone au conservatoire. Le saxophoniste joue aussi bien dans des orchestres classiques et des groupes de rock (NRO, Klone) que dans des combos de jazz (La compagnie des musiques à ouïr, le Grand Ensemble de Marc Ducret, le quintette Anthurus et, depuis 2008, L’imparfait des langues).
Delpierre commence le piano classique, puis s’oriente vers la guitare jazz, qu’il étudie avec Philippe Eveno. Aux guitar heroes de sa jeunesse, Pink FloydDeep PurpleJimi Hendrix…, il ajoute Charlie ParkerOrnette ColemanMiles DavisWes Montgomery… Arrivé à Paris en 1993, il suit des cours à l’école ARPEJ, mais c’est surtout dans la rue des Lombards et aux Islettes qu’il apprend le métier aux côtés de Médéric CollignonPhilippe GleizesThomas De Pourquery,Sunny Murray etc. Delpierre joue en duo avec Manu Codjia, participe au quartet d’Alban Darche, enregistre avec Mark Turner, le Collectif Slang et autres formations, assure la programmation des Falaises… En 2005 Delpierre rejoint Sclavis dans L’imparfait des langues.
Fort de son expérience nîmoise, Lété intègre l’ONJ de Claude Barthélémy, en 2005. En parallèle, le bassiste joue dans de multiples groupes : Le collectif Slang, le Maigre feu de la nonne en hivers, 500 mg, La fanfare électrique, D999… Par ailleurs Lété est sollicité par  nombres de musiciens (Pifarély, Sylvain Kassap, De Pourquery, Courtois etc.) et enseigne au conservatoire de Pantin.
Inutile de revenir sur le parcours de Merville qui enchaîne De Charybde en Scylla avec What Do You Mean By Silence?.
Le quintet reprend le répertoire de Lost On The Way, disque enregistré en 2008 pour ECM, et « L’idée du dialecte » de L’imparfait des langues.


Il y a des points communs entre les approches musicales de Sclavis et de Courtois, même si la musique du premier se rapproche peut-être davantage de la musique contemporaine, tandis que celle du deuxième penche plutôt vers le rock.
Dans « De Charybde en Scylla », entre les accords de la guitare, le drumming touffu de la batterie, les motifs épais de la basse et les chassés-croisés des soufflants, l’ambiance est dense. Le joli thème singulièrement dissonant du « Sommet des sirènes » (typique Sclavis) et son déroulement naviguent entre musique de chambre contemporaine et rock progressif.  Le « Bain d’or » a des côtés « africains », accentué par les poly-rythmes et le jeu sur les tambours de Merville. La basse et la batterie se déchainent dans un final violent.
Après quelques trente minutes, le première partie s’achève et le quintet aborde « L’heure des songes », un thème méditatif, presqu’une mélopée, très début vingtième. La rythmique met en relief la majesté du thème, la guitare souligne les phrases des solistes par des accords en contrepoints subtils, pendant que la clarinette basse et le saxophone soprano échangent  des propos ingénieux. « Lost On The Way » passe tour à a tour d’un climat africain à un délire free, puis à un rock explosif, appuyé par les effets électroniques de Merville.  Toujours la même densité dans « L’idée du dialecte ». L’harmonica apporte sa touche « du monde », puis la rythmique danse, pendant que Metzger et Sclavis s’amusent sur le thème. Sclavis essore le thème du bis, morceau construit comme une pièce de musique contemporaine.
Sur les traces d’Ulysse, Sclavis lance son quintet dans un voyage sonore qui, loin de tomber de Charybde en Scylla, évite les dangers d’une abstraction absconse et emporte l’auditeur dans une odyssée contemporaine et free, rehaussée de rock.
Un grand merci à Dominique Abdesselam !

Bruno Régnier, le Ciné X’TET et L’inconnu

Le 24 mai Bruno Régnier présente sa dernière création musicale au cinéma Balzac. Loin des paillettes de Cannes, mais au cœur du septième art, le Ciné X’TET accompagne L’inconnu, film muet du réalisateur Tod Browning.
Depuis 1992, date de création de la Compagnie « A Suivre… » qui héberge ses orchestres, Régnier a proposé une kyrielle de projets musicaux (Jazz à tout va est n’est pas le nom de son label pour rien…). En 1997, il fonde le X’TET, un ensemble de taille variable, dont le répertoire s’articule autour de la danse, la peinture, les chœurs… Puis, en 2003, c’est le Ciné X’TET, un combo qui accompagne des films muets. La musique du Brass’TET, créé en 2005, s’inspire davantage des fanfares. Enfin, le petit dernier, né en 2009, Contes X’TET, est un dialogue entre les musiciens et le conteur Marc Buléon.

Le Ciné X’TET a d’abord illustré musicalement Steamboat Bill Jr.(1928), Sherlock Junior (1924) et des courts-métrages de Buster Keaton (1895 – 1966), puis Le signe de Zorro (1920) de Fred Niblo(1874 – 1948). Après une résidence d’un mois sur la Scène nationale d’Orléans, Régnier s’attaque à un autre monument du cinéma muet :L’inconnu (1927) de Browning (1880 – 1962). Coïncidence amusante, L’inconnu sort sur les écrans la même année que Le chanteur de jazzd’Alan Crosland (1894 – 1936), souvent considéré comme le premier film parlant de l’histoire du cinéma, avec le chanteur Al Jolson dans le rôle titre.
Si Freaks, la monstrueuse parade (1932) reste le film le plus célèbre de Browning, L’inconnu est probablement le plus apprécié des cinéphiles. En tous cas, ces deux films sont devenus des références pour beaucoup de réalisateurs : de David Lynch (The Elephant Man) à Patrice Leconte (La fille sur le pont), en passant par François Truffaut (La femme d’à côté).
Browning tourne L’inconnu avec Lon Chaney, son acteur fétiche et l’un des les plus populaires du cinéma muet fantastique. Les deux hommes travaillent ensemble  depuis 1919 (The Wicked Darling). Ils tourneront une dizaine de films, jusqu’à Where East Is East, sorti un an avant la mort de l’acteur (1930). C’est dans L’inconnu, également, que Joan Crawford joue son premier rôle important. L’actrice dira d’ailleurs, en parlant du tournage avec Chaney : « c’est là que j’ai compris pour la première fois la différence qu’il y a entre se tenir devant une caméra et jouer un rôle ».
Le scenario de L’inconnu est librement inspiré de K., un roman écrit en 1915 par Mary Roberts RinehartL’inconnu se déroule dans le milieu du cirque : Alonzo, un mystérieux lanceur de couteau manchot, est amoureux de sa cible, la belle Nanon, qui est terrorisée par les mains des hommes. Mais quand Malabar, le monsieur muscle de la troupe, s’en mêle, le mensonge, la jalousie et la mort entrent également dans la danse…
Soixante cinq minutes bien rythmées, une dramaturgie habile, des tableaux contrastés, une intrigue tendue… L’inconnu se marie à merveille avec le jazz, Régnier l’a bien compris.
Une vingtaine de morceaux accompagne L’inconnu, tous construits avec minutie. Les musiciens sautent d’un unisson à un contrepoint, d’un dialogue à un solo, d’un riff à un ostinato, d’un foisonnement à une épure… Les rythmes se succèdent et ne se ressemblent pas : une marche dynamique, un boléro élégant, une walking pure et dure, un paso-doble à la sauce X’TET, une ode presque funèbre, voire un cha-cha-cha ou mambo. Comme dans Le signe de Zorro, Régnier privilégie les ambiances plutôt que les personnages. Il accorde un soin particulier au traitement de la matière sonore. Le compositeur a recourt à toute la palette de sonorités des soufflants, fait naviguer la guitare entre cuivres, contrebasse et batterie, utilise les lignes graves de la basse pour la pulsation, joue avec les effets percussifs pour mettre en relief les climats et jongle avec les nuances sonores. La musique de Régnier trouve sa source dans un creuset musical particulièrement large : du jazz (Duke Ellington, mais aussi Henri TexierMartial Solal…) à la musique du vingtième (Maurice Ravel,Gabriel Fauré), en passant par la fanfare et la musique de film (Henry Mancini). Mais de toutes ces sources d’inspiration, Régnier a réussi à créer un langage captivant et tout à fait personnel.
La composition du Ciné X’TET est restée globalement stable depuisCadet d’eau douce (2003) : Alain Vankenhove à la trompette et au bugle, Jean-Louis Pommier au trombone, Vincent Boisseau et Olivier Thémines aux clarinettes, Jean-Baptiste Rehault aux saxophones etPierre Durand à la guitare. Frédéric Chiffoleau (contrebasse) etRémi Dumoulin (saxophone et clarinette) sont arrivés en 2007 (Buster’s Shorts et Sherlock Junior). Quant au percussionniste, Pablo Pico, il a rejoint le X’TET pour le projet Au large d’Antifer, en 2009. Une équipe stable, d’artistes remarquables, qui se connaissent sur le bout des doigts au point de transmettre leur émotion en parfaite symbiose, est un atout maître. Qui plus est, quand le jeu requiert une sensibilité, une maîtrise instrumentale et une mise en place irréprochables, car la partition est loin d’être rudimentaire.
Une fois de plus, Régnier et le Ciné X’TET frappent fort : non seulement la musique enrichit L’inconnu, mais, en plus, l’architecture et l’harmonie des mouvements forment une suite qui se suffit à elle-même… Bravo !

Three For A Blues – William Chabbey

Three For A Blues est le cinquième disque en leader du guitaristeWilliam Chabbey et le deuxième pourAphrodite Records, après At Home, en 2008.
Chabbey abandonne la formule du quintet et se tourne vers le trio guitare – orgue – batterie. Formation qui rappelle évidemment celle deJimmy Smith avec Kenny Burrell et Jimmie Smith ou Eddy Louissavec René Thomas et Kenny Clarke. Pour Three For A Blues, Chabbey s’entroure de Rémi Jeannin à l’orgue Hammond et Charles Benarroch à la batterie.
Dès l’adolescence, Chabbey décide de se consacrer à la guitare. Il commence par jouer dans des groupes de rock, funk, rhythm’n Bluess et de variété. En 1986, Chabbey intègre le CIM et suit les cours dePierre Cullaz. Dans les années 90, le guitariste se produit dans des différents contextes : clubs de jazz, séances de studio, pièces de théâtre, comédies musicales, orchestres de Blues, musique brésilienne… Depuis le début des années 2000, Chabbey participe au quartet du saxophoniste Moritz Peter (quatre disques) et au combo de la chanteuse Catia Werneck. Il a également créé un quartet avecDavid Sauzay (ts), Emmanuel Chabbey (b) et Mourad Benhamou (d), et anime le trio de Three For A Blues. Jeannin fait partie du groupe de rock de Chris Kenna, joue avec son propre trio qui reprend, entre autre, la musique de Jehan Alain et accompagne Chabbey. Quant à Benarroch, comme Chabbey, il est également passé par le CIM, mais c’est surtout auprès des stars de la variété qu’il apprend le métier : Jacques Dutronc, Eddy Mitchell, Françoise Hardy, Julien Clerc, Jacques Higelin, Nicoletta, Alain Souchon, Laurent Voulzy, les Gipsy Kings... Côté jazz, Benarroch a joué aussi bien avec Alain Jean-Marie queDavid Patrois, en passant par Olivier HutmanEmmanuel BexXavier RichardeauLiz Mac Comb
Three For A Blues compte cinq morceaux signés Chabbey, « West Coast Blues » de Wes Montgomery  et deux thèmes de Burrell : « Midnight Blue » et «  Kenny’s Sound ». Three For A Blues est d’ailleurs tout à fait dans l’esprit de Midnight Blue, le célèbre disque que Burrell a enregistré pour Blue Note en 1963, avec Stanley Turrentine (ts),Major Holley (b), Bill English (d) et Ray Barretto (cga).
La construction des morceaux suit de près ou de loin la structure typique des morceaux de hard bop : thème, solo de guitare, puis de l’orgue, stop-chorus de la batterie et reprise du thème. Dans At Homeou avec le Moritz Peter Quartet, l’influence de Wes Montgomerysemble prédominante, tandis que dans Three For A Blues, c’est clairement Burrell qui prend l’ascendant. Un phrasé souple, une ligne claire, un sens du swing indéniable et une virtuosité déployée à bon escient : Chabbey a parfaitement digéré l’enseignement des « Maîtres » et l’héritage des mouvements post-bop. Jeannin joue des lignes de walking dynamiques (« Kenny’s Sound »), prend des solos sinueux (« Sprint Veloce ») et glisse quelques passages d’orgue d’église (« Vignola »). Benarroch assure une pulsation régulière (« Fangu ») et un chabada bien cadencé (« Sprint Veloce »).
Talentueux brassage de Blues, bossa-nova, cool et hard-bop, Three For A Blues n’a pas la prétention de révolutionner la musique, mais de proposer trois quart d’heures d’un jazz vif et attrayant.
Le disque
Three For A Blues
William Chabbey (g), Rémi Jeannin (org) et Charles Benarroch (d).
Aphrodite Records
Juin 2011
Liste des morceaux
  1. « Three for A Blues » (4:56).
  2. « Kenny’s Sound », Burrell (3:22).
  3. « Chez Jean-Batiste » (6:40).
  4. « Sprint Veloce » (4:28).
  5. « Fangu » (7:05).
  6. « Midnight Blue », Burrell (4:35).
  7. « West Coast Blues », Montgomery (6:10).
  8. « Vignola » (5:55).
Les compositions sont signées Chabbey, sauf indication contraire.