22 novembre 2014

Février 2013

Double entente – Michel Perez & Diego Imbert

Michel Perez et Diego Imbert ont commencé à jouer ensemble au début des années deux mille. Au fil des notes, les deux musiciens ont développé une grande connivence.Double entente, qui sort chez Such Production en février 2013, en est le témoignage musical.
Perez et Imbert n’ont plus besoin d’être présentés. Entendu fin 2010 dans l’émission radiophonique Jazz sur le vif, Perez se produit alors avec André VillégerGildas Boclé et Arnaud Lechantre. Quant à Imbert, outre ses collaborations avec Franck AvitabileBireli Lagrene ou Sylvain Beuf, il a sorti le remarqué Next Move en 2011, avec Alex TasselDavid El-Malek et Franck Agulhon.
L’association  guitare – contrebasse n’est pas monnaie courante, mais il y a quand même quelques duos  marquants comme, par exemple, ceux de Red Mitchell avec Joe PassJim Hall ou Barney KesselRon Carter et Hall, qui ont enregistré trois disques ensemble, Gary Peacock et Bill Frisell, et, bien sûr, le mythique Beyond The Missouri Sky de Charlie Haden et Pat Metheny. Perez n’en est pas non plus à son coup d’essai, puisqu’il a enregistré Orange en 1991, avec le bassiste Marc Bertaux.
Double entente est dédié au trompettiste François Chassagnite, décédé prématurément en 2011. Les trois hommes ont souvent joué ensemble en trio ou en quintet. Chassagnite a également été membre du sextet de Perez aux côtés de Beuf, Nico MorelliVincent Artaud etAndré Ceccarelli (Storias – 2004). En souvenir du trompettiste, le duo joue « I Remember Chass’ », une composition d’Imbert.
Perez et Imbert se partagent les treize thèmes du disque : sept pour le premier et six pour le deuxième. Les morceaux sont concis (autour de quatre minutes) et se développent sur des mélodes d’une élégante sobriété (« Double entente », « Rimbaud », « Valse »). Le duo respecte les canons du jazz mainstream : exposé du thème, chorus et reprise du thème (« Sur le pouce »). La sonorité grave, profonde et boisée de la contrebasse d’Imbert s’accorde à merveille avec le timbre clair, métallique et acéré de la guitare de Perez. Les deux hommes swinguent allègrement (« Ping pong »). Imbert assure une pulsation souple et dansante avec des lignes de walking dynamiques (« Rimbaud ») et des motifs décontractés souvent en contrepoint avec la guitare (« For Ticia », « Appart »). Dans ses solos, le contrebassiste utilise avec beaucoup de maitrise et de précision tout le registre de son instrument (des aigus dans « Abuelita » aux graves de « L’anjouvine »). Perez dialogue habilement avec Imbert (« Rembrandt », « Abuelita »), l’accompagne de suites d’accords discrets (« L’anjouvine »), imbrique ses phrases dans celles du contrebassiste (« Double entente »), prend des solos mélodieux (« Rimbaud ») et ondoyants (« Rembrandt »), avec parfois quelques touches tourmentées (« Rosas »)… L’assise rythmique solide et l’assurance calme du jeu de Perez rappelle Jimmy RaneyJimmy Gourley, voire Barney Kessel, avec parfois un zeste d’accents latins (« Pablito », « Rembrandt ») que n’aurait pas renié Charlie Byrd.
Perez et Imbert livrent un album intimiste articulé autour d’une série de dialogues à bâton rompu, une Double entente entre deux amis qui partagent un bon moment au coin du feu…
Le disque
Double entente
Michel Perez (g) et Diego Imbert (b).
Such Production – SUCH004
Sortie en février 2013
Liste des morceaux
01. « Ping pong », Imbert (3:44).
02. « Rembrandt », Perez (3:19).
03. « Double entente », Imbert (3:42).
04. « L'anjouvine », Perez (4:50).
05. « Appart », Perez (4:02).
06. « Abuelita », Imbert (4:45).
07. « For Ticia », Perez (4:15).
08. « Rimbaud », Perez (3:22).
09. « Rosas », Perez (4:47).
10. « Sur le pouce », Imbert (3:44).
11. « Valse », Perez (2:52).
12. « Pablito », Imbert (6:09).
13. « I Remember Chass' », Imbert (4:17).

Les Gémeaux accueillent l’ONJ…

Mercredi 6 février, quelques cinq cent spectateurs ont bravé le froids et la pluie pour venir écouter l’Orchestre National de Jazzaux Gémeaux. Le théâtre de Sceaux est bien connu des amateurs de jazz car, lors de sa reconstruction en 1994, il a ouvert un lieu dédié au jazz : le Sceaux What. Mais c’est dans la grande salle, qui affiche complet, que l’ONJ joue son programme Piazzolla!
Piazzolla! a été créé par l’ONJ en janvier 2012, sur une idée de son directeur artistique Daniel Yvinec, et des arrangements de Gil Goldstein. Le disque est sorti sur le label Jazz Village d’Harmonia Mundi en  septembre 2012. La plupart des morceaux du concert suivent peu ou prou l’ordre du disque. Ils sont pour la plupart signés Astor Piazzolla, mais l’ONJ interprète également « El día que me quierás » de Carlos Gardel et une pièce de Goldstein, composée pour un quintet de soufflants.
Dans son introduction, Yvinec s’avoue « très ému parce que, quand j’étais petit, mon premier groupe de rock répétait à cinquante mètres d’ici »… Après avoir brièvement retracé la genèse de Piazzolla!, il présente les musiciens : Eve Risser (piano et flûte alto), Vincent Lafont (Fender Rhodes),Antonin-Tri Hoang(saxophone alto et clarinette basse), Rémi Dumoulin(saxophone ténor, clarinette et clarinette basse),Matthieu Metzger(saxophones soprano, alto, baryton et systalk box), Joce Miennel (piccolo, flûte, flûte basse et alto), Sylvain Bardiau (trompette, bugle et trombone à piston),Pierre Perchaud (guitare), Sylvain Daniel (basse électrique) et Yoann Serra (batterie).
Comme sur le disque, pour mettre l’auditeur dans l’ambiance, le concert commence par la diffusion d’un extrait de «  El día que me quierás », chanté par Gardel. L’ONJ enchaîne sur un touchant « Chiquilin de bachin / Balada para un loco », suivi du saucisson « Libertango ». Goldstein orchestre ce tube de Piazzolla sur la base d’une tournerie bruitiste et rythmique qui permet à Serra et Lafont de développer la mélodie avec beaucoup d’élégance. Avec ses mouvements d’ensemble, « El dia que me quieras / Oblivion » penche davantage vers un concerto grosso, parsemé de courts chorus, accompagné du « systalk box » de Metzger, ce drôle d’instrument, qui ressemble à « un mélodica intubé », et dont la sonorité balance entre l’harmonica, l’accordina, le mélodica, le bandonéon… Dans « Tres minutos con la realidad », sur une rythmique groovy, Bardiau oscille entre minimalisme et envolées aigues, relayé par Dumoulin, dont le jeu suave évoque Joe Lovano, voire Stan Getz. Après la diffusion d’un solo de Piazzolla au bandonéon, les cinq soufflants se lancent dans une composition de Goldstein, à mi-chemin entre musique contemporaine et jazz. Avec un fonds sonore électro mystérieux et une rythmique sourde, « Adios Nonino » commence comme une musique de film de science-fiction, jusqu’au chorus décalé d’Hoang, puis au solo plutôt rock de Perchaud, le tout sur une walking entraînante de Daniel et un drumming dense de Serra. Après un rappel enthousiaste, les dix artistes jouent « Soledad / Vuelvo al sur ». Après une entrée en matière « mystique tibétaine » de Mienniel à la flûte basse, l’orchestre propose une version assez dramatique de ces thèmes, avec notamment une intervention majestueuse de Risser, et un côté Ennio Morriconepour la trompette emphatique de Bardiau. De bout en bout, les musiciens se comprennent à merveille et la musique circule avec fluidité entre les sections.


Piazzolla par l’ONJ et Goldstein, c’est une musique captivante, pleine d’émotion, comme le veut le tango, mais c’est aussi un ensemble de constructions complexes faites de superposition de voix, de contre-chants, de phrases croisées, de mouvements entrelacés, de rythmes chaloupés, d’envolées impétueuses… comme les auraient, sans doute, appréciés Piazzolla. Le soin apporté par Piazzolla à l’instrumentation des morceaux d’Adios Nonino (1969) ou de Libertango (1974) ne peut que confirmer la justesse de l’approche de Goldstein, Yvinec et l’ONJ… qui ne sont pas tombés dans l’écueil du « Piazzolla pour touristes ».
Un superbe concert, preuve supplémentaire que musique populaire et créativité peuvent aller de pair : bravo l’ONJ !