22 novembre 2014

Décembre 2013

Flyin’ With – Aérophone

En 2007, Yoann Loustalot sortPrimavera chez Elabeth. Depuis, le bugliste et trompettiste enregistre régulièrement : Yo5 en 2009 pour Le Petit Label, Aérophoneen 2010 chez Fresh Sound New Talent et Derniers reflets en 2012, toujours chez FSNT. PourFlyin’ With, publié en juin 2013, Loustalot a rejoint le label Bruit Chic.
Aérophone est un trio sans piano, avec Blaise Chevallier à la contrebasse – déjà présent sur le disque éponyme – et Frédéric Pasquaà la batterie, qui remplace Emile Saubole. Loustalot invite aussi la flûtiste Naissam Jalal sur trois morceaux : « Emperor Snake Head », « Ballade pour Naissam » et « Icarus Flight ».
Si le titre du disque évoque évidemment la série des Cookin’ With,Relaxin’ WithSteamin’ With etc. de Miles Davis, en revanche le répertoire de Flyin’ With n’a rien à voir avec celui du quintet : sept des neuf thèmes sont signés Loustalot, Chevallier apporte « Ruades » et « Teo » est la composition de Thelonious Monk, écrite en hommage àTeo Macero
Unissons (« Emperor Snake Head »), contrepoints (« Ballade pour Naissam »), voix décalées (« Eceuil »), dialogues piquants (« Teo »)… l’interaction est le moteur principal de la musique du trio. Le rythme est également l’une des composantes importantes de Flyin‘ With : ostinatos (« Emperor Snake Head »), ambiance lourde et groovy (« Icarus Flight »), rifs (« La Tromba Macchina »), marche (« Debout soldat ! »), passage en walking et chabada (« Souris de poche »)…
Batteur dynamique aux roulements secs et serrés (« La Tromba Macchina ») et à la musicalité incontestable (« Debout Soldat ! »), Pasqua rappelle un peu Stéphane Huchard. Chevallier confirme les remarques écrites à l’écoute d’Aérophone et de Derniers reflets : son volumineux et boisé (« Souris de poche »), jeu tout en souplesse (« Ecueil ») et sens mélodique flagrant (« Ruades »). Le phrasé plutôt classique de Jalal introduit une touche chambriste élégante (« Ballade pour Naissam »), ses ostinatos soutenus rajoutent de l’épaisseur (« Empreror Snake Head ») et ses quelques traits orientaux viennent épicer « Icarus Flight ». Loustalot continue de composer des thèmes tendus et dissonants (« Souris de poche », « Ecueil ») propices aux développements denses du trio. Sa sonorité ample et veloutée met en relief son discours tantôt cool (« Ballade pour Naissam »), tantôt sinueux (« Emperor Snake Head »), voire rythmique (« La Tromba Macchina »), et son timbre se marie à merveille avec ceux de la contrebasse et de la batterie.
Interactions, contrastes rythmiques et sens des nuances sont trois caractéristiques dominantes du trio Aérophone. Dans Flyin’ With, Loustalot poursuit l’exploration de sa musique, intense et moderne, construite sur un brassage cohérent de bop pour les fondations, de West Coast pour la décontraction, de Third Stream pour la structure, de world pour les zestes latins et orientaux, de musique de chambre pour la construction...
Les musiciens
Les présentations avec Loustalot ont déjà été faites…
Formé aux percussions classiques au Conservatoire de Salon de Provence, Pasqua intègre ensuite l’école de batterie NGT d’Aix en Provence. Sous la houlette de Nadia et Gilles Touché, il s’oriente vers le jazz et joue, entre autres, dans le trio de Louis Winsberg, le quintet de Sophie Alour, le trio de batterie Pacatom, Olivier Ker OurioEmmanuel Bex etc.
Chevallier participe à de nombreux projets aux côtés de chanteuses comme Jeanne RochetteMargeaux LampleyMiléna Kartowski et son Hassidish Project… Il fait également partie de l’Emmanuel BorghiTrio, du septette Wunderbar Orchestra de Victor Michaud
Après des études de flûte classique et l’obtention de son certificat de fin d’études musicales, Jalal rejoint Tarace Boulba, une fanfare funk. Elle étudie ensuite le nay en Syrie, puis, en Egypte, elle étudie avec le violoniste Abdu Dagher et joue dans les groupes de Fathi Salama. En 2006, Jalal est de retour en France. Elle joue dans des contextes très différents : rap avec Rayess Bek, musique orientale en duo avecHazem Shahine, musique africaine avec Cheikh Tidiane Seck,Fatoumata Diawara… A partir de 2010, Jalal joue de plus en plus en compagnie de musiciens de jazz, comme Nelson VerasHamid Drake
Le disque
Flyin’ With
Aérophone
Yoann Loustalot (tp, bugle), Blaise Chevallier (b) et Frédéric Pasqua (dm), avec Naissam Jalal (fl).
Bruit Chic – BC004
Sortie en Juin 2013.
Liste des morceaux
01. « Souris de Poche » (9:47).
02. « Ecueil » (5:52).
03. « Emperor Snake Head » (4:41).
04. « Ballade pour Naissam » (7:42).
05. « Ruades », Chevallier » (8:02).
06. « Debout Soldat ! » (4:05).
07. « La Tromba Macchina » (7:06).
08. « Icarus Flight » (5:54).
09. « Teo », Monk (2:16).
Les compositions sont signées Loustalot, sauf indication contraire.

Pretend – Grazzia Giu

Après KeepSearching Lost etChange Air, la chanteuseGrazzia Giu sort Preten en février 2013 chez GDW Music. Elle est accompagnée du pianiste Lionel Melot, du bassiste (et guitariste)Dominique Di Piazza et du batteur Andy Barron.
Dans Pretend, Giu propose douze chansons en anglais, écrites de sa main et arrangées par Melot ou elle. Les introductions lyriques du piano (« Here Angels Playing »), les couplets mélodieux (« Always Lost »), le goût des ballades (« Pretend »), le phrasé sans aspérité (« The Jazz Of Revolution »), les passages binaires (« Doubt Of Mine »)… tout dans la musique dePretend concorde avec ce que Giu définit comme de la « pop-jazz intimiste ».
Giu possède un timbre chaleureux dans le medium – grave et plutôt clair dans les aigus. Dans la plupart des morceaux, la chanteuse s’attache davantage aux textes et aux mélodies qu’au malaxage de la matière sonore. « Mother Of All Mothers » est sans doute l’exception qui confirme la règle car le morceau ressemble à une incantation, avec la voix de Giu qui dialogue avec les frappes puissantes de Barron sur ses fûts, accompagnés discrètement par une ligne de basse sourde et des rifs minimalistes du piano. A relever également « The Man Who » qui s’inscrit dans un registre country – rock entraînant. Accompagnateur souple et attentif, Melot se montre inventif en trio avec Di Piazza et Barron (« Somewhere Out There »). A la guitare (« Paris The City Of Love ») comme à la basse (« Pretend »), Di Piazza est d’une habileté redoutable. Il met ses lignes au diapason du chant de Giu (« Forgive Me ») et prend quelques chorus supersoniques dont il a le secret (« Running »). Barron se montre léger quand il faut (« Here Angels Playing »), binaire à l’occasion (« All Over »), groovy dans quelques circonstances (« Paris The City Of Love »)  et ternaire par moments (« Somewhere Out There »).
Les oreilles habituées aux sculptures sonores des musiques improvisées risquent fort de ne pas être tout à fait sur les mêmes longueurs d’ondes que Giu, mais les amateurs de variété jazzy y trouveront certainement leur compte.
Les musiciens
Formée à la musique classique au conservatoire d’Anvers, Giu s’oriente vers le jazz en suivant des cours avec David LinxThierry Peala… Installée à Grenoble, Giu fréquente assidûment les scènes de la région Rhône-Alpes : Festival de Jazz de Grenoble, Crest Jazz Vocal, Jazz Club de Chambéry, La Soupe aux Choux…
Melot apprend le piano classique au Conservatoire de Grenoble. Il commence le métier en accompagnant des musiciens de variété commeHerbert LéonardSteve EstatofMary… puis passe au jazz avecBernard MauryMario Stantchev… En parallèle il se forme aux tablas avec Lav Kumar Sharma. En 2003, Melot rejoint l’Orchestre Régional de Jazz du Limousin. En 2008, Melot enregistre Yao Shan, son premier disque en solo. Sa collaboration avec Giu commence en 2009, à l’occasion de Change Air. Côté musique du monde, Melot participe à plusieurs formations avec Claude Gastaldin : le duo Mukhra, le quartet Gahana, le trio Sudha…
En 1979, Di Piazza découvre Jaco Pastorius et se met à la basse.  Trois ans plus tard il débute sa carrière au Hot club de Lyon avecMichel Pérez. Installé à Pairs en 1986, Di Piazza joue avec Didier LockwoodAndré CeccarelliGordon Beck, puis tourne avec Gil Evans et le Big Band Lumière de Laurent Cugny. En 1989, il enregistre Padre avec Jean-Pierre Como et Stéphane HuchardJohn McLaughlin fait appel à lui pour son trio, avec Trilok Gurtu, et, en 1992, ils sortent Que alegria. A partir de 2000, Di Piazza, Biréli Lagrène et Dennis Chambers forment le tri Front Page, et il enregistre aussi aux côtés de Meddy GervilleU. SrinivasAntonio Farao... En 2008, Di Piazza sort Princess Sita, son premier disque en leader, avec Nelson Veras et Manhu Roche.
Barron fait ses débuts dans le Doncaster Youth Jazz Orchestra. En 1984, il s’établit à Londres et joue aussi bien du jazz que de la variété avec, entre autres, Nigel KennedyDominic MillerManu Katché… En 1994, Barron s’installe en France, accompagne Rick MargitzaKenny WernerJohn Scofield… et devient le batteur de l’orchestre régional de Jazz Rhône-Alpes.
Le disque
Pretend
Grazzia Giu
Grazzia Giu (voc), Lionel Melot (p), Dominique Di Piazza (b) et Andy Barron (d).
GDW Music
Sortie en février 2013.
Liste des morceaux
01. « Here Angels Playing » (03:23).
02. « Running » (04:32).
03. « Forgive Me » (04:11).
04. « Always Lost » (03:13).
05. « Pretend » (03:49).
06. « Doubt of Mine » (05:28).
07. « Paris the City of Love » (03:59).
08. « Somewhere Out There » (03:58).
09. « The Jazz of Revolution » (04:22).
10. « All Over » (05:39).
11. « The Man Who » (03:19).
12. « Mother of All Mothers » (03:39).
Toutes les compositions sont signées Giu.

Jim Hall…

 « Ecouter, c’est encore ce qui compte le plus »
Disparu le dix décembre 2013, Jim Hall a profondément marqué l’histoire de la guitare par sa science de l’harmonie, son ouverture mélodique, ses compositions subtiles, sa sonorité caractéristique… et ses nombreux duos !
Né à Buffalo le 4 décembre 1930, Hall apprend la musique au Cleveland Institute of Music et la guitare classique avec le guitariste et compositeur Vincente Gomez, à Los Angeles. Hall commence sa carrière dans le quintet du batteur Chico Hamilton (décédé en novembre 2013), avant de rejoindre le trio de Jimmy Giuffre, avecRalf Pena ou Jim Atlas à la contrebasse. Après avoir accompagné Ella Fitzgerald, en 1961, Hall joue en duo avec Lee Konitz, puis rejoint le quartet de Sonny Rollins. De 1962 à 1964, il codirige un quartet avecArt Farmer et enregistre également avec Paul Desmond. A la fin des années soixante, installé à New-York, Hall se consacre essentiellement à ses projets musicaux en duos – avec, entre autres, Bill EvansRon CarterEnrico PieranunziPat Metheny… –, son sextet avec cinq contrebasses (Scott ColleyCharlie HadenDave HollandGeorge Mraz et Christian McBride), ses compositions cross-over (Textures,Quartet Plus FourPeace Movement…) etc. Parmi ses dernières réalisations, Hall a joué en duo avec le pianiste Geoff Keezer (Free Association – 2005) ou Joey Baron (Conversations – 2010) et en quartet avec Bill Frisell, Baron et Colley (Hemispheres – 2008).

Quelques jalons discographiques…
Jazz Guitar
En 1957, alors qu’il joue dans trio de Giuffre, Hall enregistre son premier disque en leader avec deux musiciens de la côte ouest : Red Mitchell à la contrebasse et Carl Perkins au piano. Le trio joue onze standards dans un style be-bop, à tendance cool.
La musique se démarque peu des canons du bop : thème – chorus de la guitare, du piano puis de la contrebasse – thème, walking bass inamovible, accords de la guitare qui remplacent le chabada, mise en place parfaite… Le côté cool se perçoit dans le jeu décontracté et la sonorité délicate du trio : guitare proche d’une sonorité acoustique, contrebasse moelleuse et piano sobre. La musique du trio évolue quelque part entre le Third Stream et Bill Evans grâce à la souplesse mélodieuse de Mitchell qui rappelle Scott LaFaro ou Eddie Gomez, la richesse harmonique du jeu d’Hall et les développements inventifs de Perkins.
Savant mélange de be-bop et de cool, Jazz Guitar balance efficacement et fait partie des classiques du trio sans batterie.
01. « Stompin' at the Savoy » ; 02. « Things Ain't What They Used to Be » ; 03. « Things Ain't What They Used to Be » (alternate take) ; 04. « Thanks for the Memory » ; 05. « Tangerine »; 06. « Stella by Starlight » ; 07. « 9:20 Special » ; 08. « Deep in a Dream » ; 09. « Look for the Silver Lining » ; 10. « Seven Come Eleven » ; 11. « Too Close for Comfort ».

The Bridge
Quand Sonny Rollins revient sur la scène du jazz, après trois ans d’absence, il constitue un quartet de choc avec Hall à la guitare, Bob Cranshaw à la contrebasse et Ben Rileyà la batterie. En n1962, le saxophoniste ténor sort deux albums mythiques pour Bluebird : The Bridge et What’s New?The Bridges’articule autour de quatre standards et deux compositions de Rollins : « John S. » et « The Bridge ».
Une contrebasse solide et mélodieuse qui alterne walking et rifs, une batterie au jeu vif et léger qui joue un chabada rapide, et un ténor puissant, tendu, qui sort des lignes modernes, un hard-bop dissonant, souvent agressif… Et qui met également sa sonorité généreuse, parfois amplifiée par un zeste de réverbération, au service des ballades. Le style que Rollins développe dans The Bridge va influencer de nombreux saxophonistes. Quant au jeu de Hall, il s’insère à merveille dans cette ambiance : chorus avec des modulations, phrases rapides entrecoupées d’accords tranchants, succession d’accords intercalés avec la walking, traits courts et arpégés… Hall s’appuie sur la qualité de ses compagnons pour laisser libre court à sa créativité.
The Bridge prolonge l’héritage du hard-bop avec une approche moderne des mélodies et des développements harmoniques qui conviennent parfaitement au jeu subtil de Hall.
01. « Without A Song » ; 02. « Where Are You? » ; 03. « John S. » ; 04. « The Bridge » ; 05. « God Bless the Child » ; 06. « You Do Something To Me ».

Undercurrent
Evans et Hall ont sorti deux disques en duo :Undercurrent en 1963, chez Blue Note, etIntermodulation, en 1966, chez Verve. Les deux musiciens ont des affinités musicales évidentes : un goût pour les dialogues construits et constructifs, une approche intimiste de la musique, un rejet de la virtuosité gratuite... Le duo interprète sept standards et « Romain », thème signé Hall.
Les deux versions de « My Funny Valentine » qui introduisentUndercurrent sont caractéristiques de l’album : une interaction portée à son extrême avec des contrepoints astucieux, des questions-réponses ingénieuses, un entrelacs subtil des voix, des dialogues intimistes... Les deux artistes piochent dans la tradition du jazz – walking et passages stride d’Evans, pompes et swing de Hall… –, les valses,Claude Debussy, les post romantiques etc. Et la sonorité quasi-acoustique de la guitare de Hall s’accorde à merveille avec celle du piano.
Deux esprits qui se rencontrent avec un tel degré de pertinence et une intelligence de jeu aussi remarquable font d’Undercurrent un must.
01. & 02. « My Funny Valentine » ; 03. « I Hear A Rhapsody » ; 04. « Dream Gipsy » ; 05. « Stairway To The Stars » ; 06. « I’m Getting Sentimental Over You » ; 07. & 08.  « Romain » ; 09. « Skating In Central Park » ; 10. « Darn That Dream ».

Power Of Three
Le 14 juillet 1986,Michel Petruccianienregistre Power Of Three au Festival de Montreux. Il joue en duo, avec Hall, les standards « Beautiful Love » et « In A Sentimental Mood », plus deux compositions du guitariste : « Waltz New » et « Careful ».Wayne Shorter les rejoint pour son thème, « Limbo », « Morning Blues » de Petrucciani et « Bimini » de Hall. Le disque sort chez Blue Note, le label de Petrucciani entre 1985 (Pianism) et 1994 (Marvellous).
Si les dialogues de Hall avec Petrucciani n’atteignent pas le niveau d’interplay que les duos avec Evans, les échanges n’en restent pas moins piquants grâce à la richesse de leurs chorus (« Beautiful Love ») et la pulsation soutenue des accompagnements (« Careful »). Les deux musiciens varient également les rythmes : calypso, bossa nova, valse… Quand Shorter se joint au duo, ses interventions impétueuses rajoutent une forte dose de tension à l’ensemble.
Dans Power Of Three, l’inspiration avertie de Hall se marie au lyrisme moderne de Petrucciani et au free dompté de Shorter, pour produire une musique inventive.
01. « Limbo » ; 02. « Careful » ; 03. « Morning Blues » ; 04. « Waltz New » ; 05. « Beautiful Love » ; 06. « In A Sentimental Mood » ; 07. « Bimini ».

Live At Town Hall
Pour son soixantième anniversaire, Hall se voit offrir une carte blanche au Town Hall. Le 26 juin 1990, il réunit un aréopage d’amis, parmi lesquels Bob BrookmeyerRon CarterGary Burton,Gerry MulliganJohn AbercrombieJohn ScofieldGil Goldstein… et une section rythmique avec qui il travaille fréquemment depuis le milieu des années quatre-vingt : Steve LaSpina à la contrebasse etTerry Clarke à la batterie. Les deux volumes du Live At Town Hallsortent chez Musicmasters. Sur les quatorze morceaux, il y a huit standards, trois compositions sont de Hall, le contrebassiste et pianisteDon Thompson apporte « Abstract And Dreams » et les formations joue « Sancticity » de Coleman Hawkins et « Laura’s Dream » d’Astor Piazolla.
Le premier disque propose trois duos qui jouent chacun deux morceaux, plus trois pièces cross-over avec un quatuor à cordes. Quant au deuxième, en dehors de « Hide And Seek », il met en scène des guitaristes…
Dans le premier volume, les conversations entre Carter et Hall ont une évidence et une profondeur qui rappelle les duos avec Evans. La sonorité veloutée de Brookmeyer est bien assortie avec celle de Hall et leur musique est élégante et sophistiquée. Même constatation avec le son du baryton de Mulligan qui s’accorde merveilleusement avec la guitare. Leurs dialogues sont captivants car les deux hommes interagissent subtilement et débordent d’idées. Le quatuor à cordes et la section rythmique formée par Thompson, LaSpina et Clarke alternent passage dans un esprit dix-neuvième et jazz, proche du Third Stream. Dans « Laura’s Dream », le vibraphone de Burton est bienvenu car il assure une passerelle convaincante entre le quatuor et la section rythmique.
Le deuxième volume commence par un morceau touffu dans une ambiance fusion, maisqui pourrait aussi être une musique de film. Le duo avec Peter Bernstein reste classique, avec LaSpina et Clarke dynamiques à souhait. Dans « Sancticity », Scofield et Hall pimentent leurs propos à l’aide d’effets sonores. La sonorité rock de Scofield contraste avec celle de Hall, davantage réverbérée que d’habitude. Les échanges lors de l’exposé du thème et de la conclusion font regretter que les deux guitaristes n’interagissent pas plus.  Sans Hall, Mick Goodrick et Abercrombie s’amusent avec « My Funny Valentine ». Le disque s’achève sur « Careful », avec les cinq guitaristes, Burton, Goldstein, LaSpina et Clarke. Le morceau foisonne : les approches rock et fusion de Scofield et Abercrombie tranchent avec le caractère jazz de Hall, Burton et Goldstein.
Le Live At Town Hall donne un large aperçu de la versatilité du jeu de Hall, de son sens de l’écoute et de sa science exceptionnelle du duo.
Volume 1 : 01. « Alone Together » ; 02. « St. Thomas » ; 03. « Skylark » ; 04. « Begin the Beguine » ; 05. « All the Things You Are » ; 06. « Prelude to a Kiss » ; 07. « 1953 » ; 08. « Abstract and Dreams » ; 09. « Laura's Dream ».
Volume 2 : 01. « Hide and Seek » ; 02. « How Deep Is the Ocean? » ; 03. « Sancticity » ; 04. « My Funny Valentine » ; 05. « Careful ».

Something Special
Accompagné de LaSpina et Larry Golding au piano, Hall renoue avec le trio sans batterie dansSomething Special, sorti en 1993 chez Musicmasters. En dehors des standards « Somewhere » et « Deep In A Dream », le trio joue un thème de Golding, un de LaSpina et six de Hall.
Dans Something Special, Hall et son trio se montrent redoutablement inventifs. De facture classique, « Something Special » et « Up For Air » (Hall en duo avec Golding) swinguent copieusement, tandis que « Somewhere » et « Three » plongent l’auditeur dans des ambiances réfléchies, qui rappellent un peu Evans. Le caractère intimiste se retrouve aussi dans « Deep In A Dream », joué en solo par Hall. L’introduction et la conclusion a capella de « Down Form Antigua » s’apparentent presqu’à une pièce de musique classique brésilienne. Le développement du trio est captivant : la contrebasse intercale ses courtes phrases entre la pédale du piano et l’ostinato de la guitare ; avec leurs accents latinos, les chorus du piano et de la guitare sont particulièrement entraînants. Dans « When Little Girls Play » et « Lucky Thing » la musique circule de contrepoints en trilogues, énergique et dansante. « Steps » tient du free et de la musique contemporaine : effets sonores, bruitages, coups d’archet, jeux dans les cordes, clusters… le morceau est tendu ! Quant à « Consequently », avec son thème dissonant, ses ostinatos, son minimalisme… entrecoupés de chorus rythmés, il peut évoquer l’approche d’un Lennie Tristano.
Le trio Hall, Golding, LaSpina fonctionne à merveille et Something Special ne vole pas son titre : à l’écoute de ce disque, il se passe quelque chose, la musique y est surprenante, imaginative, inédite…
01. « Something Special » ; 02. « Somewhere » ; 03. « Down from Antigua » ; 04. « Steps » ; 05. « Deep in a Dream » ; 06. « When Little Girls Play » ; 07. « Three » ; 08. « Lucky Thing » ; 09. « Up for Air » ; 10. « Consequently ».

Jim Hall & Pat Metheny
Pat Metheny n’a jamais caché son engouement pour Hall, mais ils n’ont jamais eu l’occasion de croiser leurs cordes avant ce disque, sorti en 1999 chez Telarc. Cela dit, Metheny vient d’enregistrer Like Mindsavec Burton, Chick CoreaDave Holland etRoy Haynes, dans une veine assez proche de Hall. Les dix-sept dialogues des deux guitaristes se développent autour de quatre morceaux de Hall, autant de Metheny, une reprise de « The Bird And The Bees » du guitaristeAttila Zoller et de « Falling Grace » du bassiste Steve Swallow,  et deux saucissons – « All The Things You Are » et « Summertime ». Cinq « Improvisations » viennent s’insérer au milieu de ces pièces.
Comme avec Evans, Hall trouve en Metheny un partenaire de jeu idéal avec lequel il prend son temps pour exposer ses idées. Metheny joue de la guitare électrique, acoustique, classique et à quarante-deux cordes. Il varie ainsi les accompagnements et les ambiances au grès des morceaux. Subtilité est le mot qui caractérise le mieux leurs interactions (« Falling Grace ») : des morceaux tout en douceur, qui swinguent tranquillement, mais avec des fulgurances qui mettent du piquant dans les dialogues (« Lookin’ Up », « The Birds And The Bees », « Waiting To Dance ») ; des ballades qui reposent sur des mélodies séduisantes (« Don’t Forget », « Farmer’s Trust ») et des développements habiles, pimentés de citations, d’humour (« All Across The City ») et d’accents bluesy (« Ballad Z ») ; des plages modernes et denses qui laissent la part belle aux questions – réponses (« All The Things You Are »), aux ostinatos d’accords touffus (« Summertime ») et autres entrelacs de voix (« Cold Spring ») ; « Into The Dream » part vers l’Inde, avec Metheny qui sonne comme une cithare sur sa Pikasso à quarante-deux cordes, et les deux voix qui développent la mélodie en parallèle ; enfin, les cinq improvisations sont bluffantes avec des contrepoints de musique classique, du free contemporain bruitiste, des arpèges foudroyants, des boucles imbriquées comme dans une étude…
Hall et Metheny forment sans conteste un duo raffiné ; les deux guitaristes font preuve d’une inventivité constante, qui rend leurs dialogues passionnants et ce disque indispensable !
01. « Lookin' Up » ; 02. « All the Things You Are » ; 03. « The Birds and the Bees » ; 04. «  Improvisation, No. 1 » ; 05. « Falling Grace » ; 06. « Ballad Z » ; 07. « Summertime » ; 08. « Farmer's Trust » ; 09. « Cold Spring » ; 10. « Improvisation, No. 2 » ; 11. « Into the Dream » ; 12. « Don't Forget » ; 13. « Improvisation, No. 3 » ; 14. « Waiting to Dance » ; 15. « Improvisation, No. 4 » ; 16. « Improvisation, No. 5 » ; 17. « All Across the City ».

Hemispheres
Autre fervent admirateur de Hall, le guitariste Bill Frisell enregistre avec lui un double-album  en 2008, pour ArtistShare Records. Dans le premier disque, le duo interprète trois morceaux de leur répertoire respectif, deux improvisations co-signées, « Bags Groove » de Milt Jackson et « Masters Of War » deBob Dylan. Dans le deuxième disque, les deux guitaristes sont rejoints par la paire rythmique habituelle de Hall : Scott Colley et Joey Baron. Excepté deux compositions de Hall et deux thèmes collectifs, le quartet joue six standards.
La musique du duo est sophistiquée. Hall et Frisell dialoguent dans un esprit free (« Bimini »), jouent des effets insolites (« Migration »), s’approchent du bruitisme («  Throughout »), installent des ambiances aériennes et mystérieuses (« All Across The City »)… Les propos des deux hommes prennent souvent une tournure folk jazz (« Family »), avec de nombreuses touches bluesy (« Bag’s Groove », « Monica Jane ») et des développements étirés (« Waiting To Dance ») autour de constructions perfectionnées (« Masters Of War »).
Quand Colley et Baron rejoignent le duo, le quartet part dans deux principales directions.  Des morceaux d’avant-garde, avec des effets de guitares (gongs dans « Hear And Now ») sur une walking véloce (« Barbaro »), un passage de musique concrète (« Hear And Now), des bruitages fantasques (« Card Tricks »), des développements sonores expérimentaux (« In A Sentimental Mood »)… Quant à la deuxième direction, elle s’inscrit davantage dans un jazz classique : walking et chabada dans « I’ll Remember April », structure thème – solos – thème de « Owed To Freddie Green », duo en contrepoint sur rythmique régulière dans « My Funny Valentine », « Sonymoon For Two » joué dans une veine hard-bop etc.
Hemispheres confirme l’aisance de Hall dans les contextes les plus variés : jazz traditionnel ou recherche musicale. Avec Frisell, Colley et Baron, la musique de Hall prend une tournure « free jazz folk ».
Disque 1 : 01. « Throughout » ; 02. « All Across the City » ; 03. « Bag’s Groove » ; 04. « Migration » ; 05. « Family » ; 06. « Waiting to Dance » ; 07. « Bimini » ; 08. « Masters of War » ; 09. « Beijing Blues » ; 10. « Monica Jane ».
Disque 2 : 01. « I'll Remember April » ; 02. « Barbaro » ; 03. « Chelsea Bridge » ; 04. « Owed to Freddie Green » ; 05. « Beija Flor » ; 06. « Hear and Now » ; 07. « My Funny Valentine » ; 08. « Card Tricks » ; 09. « In a Sentimental Mood » ; 10. « Sonnymoon for Two ».

Conversations
Ultime enregistrement en studio de Hall, Conversations est un duo avec Baron qu’ArtistShare Records publie en 2010. Les deux complices jouent deux thèmes fétiches de Hall – « Bag’s Groove » et « St. Thomas » de Rollins –, « Pocketful of Change » de Baron, « Uncle Ed » de Hall et neuf morceaux co-signés.
Preuve supplémentaire que Hall aime s’aventurer en terrains inconnus : les duos guitare et batterie ne courent pas les rues dans le jazz… Et pourtant : en Afrique, l’association de la kora et du tam-tam, ou d’un instrument à cordes et de percussions, n’est pas rare. DansConversations, Baron joue d’ailleurs souvent sur les peaux, comme un tambour (« Bag’s Groove », « At Sea »). Le son sourd, mat et sec des caisses et toms s’accorde parfaitement à celui de la guitare. Les deux artistes passent d’un petit dialogue pétillant de moins d’une minute (« Uncle Ed ») à une pièce en plusieurs tableaux, qui dure plus de neuf minutes (« Travelogue »). La guitare et la batterie se répondent dans un savoureux mélange de régularité (« Reinhardt »),  roulements furieux (« What If? »), polyrythmie (« St. Thomas »), motifs minimalistes (« Conversations », traits free (« Pollock »), phrases dansantes (« Safari »)…
Tour à tour chantantes, contemporaines, bluesy, rythmiques, free… cesConversations entre Hall et Baron s’avèrent passionnantes. La connivence entre les deux musiciens est évidente et cet album est une pépite.
01. « Bag's Groove » ; 02. « Reinhardt » ; 03. « Pollock » ; 04. « Conversations » ; 05. « Ballad Painting » ; 06. « What If? » ; 07. « In Repose » ; 08. « Uncle Ed » ; 09. « Safari » ; 10. « Monet » ; 11. « Travelogue » ; 12. « At Sea » ; 13. « St. Thomas » ; 14. « Pocketful of Change » ; 15. « Time ».

L’Ensemble Dédales…

... et sa géographie spatio-temporelle...
En 2005, Dominique Pifarély crée l’Ensemble Dédales pour interpréter sa musique : neuf musiciens qui « se retrouvent tous dans l’idée d’une musique à la fois libre et exigeante » (Denis Constant-Martin). Nommer chaque chose à part, premier disque de Dédales, sort en 2009 et leur deuxième opus, Time Geography, est publié en novembre 2013, chez Poros Editions, le label de Pifarély, associé aux Allumés du jazz et distribué par l’Autre distribution.
Le 25 novembre, l’Ensemble Dédales présente Time Geography à La Fonderie, à Malakoff. Ce concert privé se déroule dans la salle du studio Sextan où a été enregistré le disque (et dont l’acoustique est irréprochable). Musicien, ingénieur du son, réalisateur, producteur, programmateur (Jazz à Vannes 2014) et gérant de Sextan, Vincent Mahey accueille chaleureusement le public… avec un apéritif !


Pour former Dédales, Pifarély fait appel à des musiciens plus chevronnés les uns que les autres et une instrumentation originale : son violon, bien sûr, mais aussi l’alto de Guillaume Roy (Quatuor IXI…), la clarinette de Vincent Boisseau (Ciné X’TET de Bruno Régnier…), le saxophone baryton de François Corneloup (Equanimity Meetingd’Henri Texier, Hélène Labarrière Quartet…), la trompette de Pascal Gachet (X’TET, Sens de la marche de Marc Ducret…), le trombone deChristiane Bopp (Ars Nova, Akademia, Les Cannibales…), le piano deJulien Padovani (Les Cannibales, Christian Pacher…), la contrebasse d’Hélène Labarrière (Quartet avec Corneloup, Hasse Poulsen etChristophe Marguet…) et la batterie d’Eric Groleau (Ibrahim Maalouf Sextet, Trio Vintage de Claude Barthélemy, Open Songs avec Labarrière et Corneloup…). Pifarély a également demandé au guitariste et clarinettiste Pierrick Hardy de l’épauler pendant l’enregistrement.
Le titre de l’album est tout un symbole. Fondée dans les années soixante-dix par le géographe suédois Torsten Hägerstrand, la Time Geography est un courant de la géographie qui modélise de manière évolutive les comportements humains dans leur environnement, comme, par exemple, une représentation en trois dimensions des mouvements migratoires de différents groupes ethniques au cours des siècles. Dès lors, il n’est pas étonnant que la « suite » de Pifarély soit truffée de références scientifiques et littéraires : « Ordinary Chaos » et « Chaos, Ancient Noises » renvoient à la théorie du chaos ; « Slow Science » évoque un mouvement de chercheurs qui prône plaisir et créativité contre productivité et rentabilité immédiate ; « Per Angusta » est extrait de la locution latine «  ad augusta per angusta », soit « à des résultats grandioses par des voies étroites » (Larousse), qui peut s’appliquer à la science, mais qui est aussi le mot de passe des conjurés d’Hernani… ; quant  à « Beirut Work Song », son titre est explicite…
La musique de l’Ensemble Dédales se situe à la croisée de la musique contemporaine et du jazz : dès « Ordinary Chaos », le motif très « début vingtième », joué en contre-chant par la trompette et les cordes, se superpose à une pédale du piano dans le registre grave, et, après cette introduction, tandis que le saxophone baryton désarticule la mélodie, l’orchestre part dans un développement dense, porté par l’ostinato vigoureux et groovy de la section rythmique… Musique contemporaine également quand le piano joue un préambule imposant (« Per Angusta ») dans lequel des clusters ponctuent violemment des lignes mélodieuses, ou encore dans les passages chambristes qui mettent en valeur les cordes (« Per Angusta ») ou les soufflants (« Beirut Work Song »).


La structure des morceaux est basée sur des successions de mouvements qui laissent de l’espace aux solistes, à l’instar des chorus lumineux du violon dans  « Slow Science » et de l’alto dans « Per Angusta », de la trompette a capella dans « Slow Science », du trombone dans « Per Angusta », particulièrement expressif avec ses glissando, multi-phoniques, sourdines, effets de souffle… Les musiciens croisent leurs voix dans des jeux de questions – réponses d’une agilité remarquable, comme, par exemple, la contrebasse avec le baryton dans « Ordinary Chaos » ou la batterie dans « Beirut Work Song ». Côté jazz, l’énergique batterie et la robuste contrebasse jouent des lignes entraînantes (« Per Angusta »), limite bluesy (« Slow Science »), voire rock (« Chaos, Ancient Noises »), pendant que les voix des cordes, du chœur des soufflants et de la clarinette s’expliquent (« Per Angusta ») ou dialoguent à bâton rompu (le baryton et l’alto dans « Per Angusta »). Pifarély joue avec les masses sonores : elles se superposent (« Chaos, Ancient Noises »), se décalent en boucle (« Per Angusta »), se développent en couches (« Beirut Work Song »)… Complexe et tendue, la construction de Time Geography est également captivante pour les contrastes entre les tableaux (« Chaos, Ancient Noises »), les nuances (les phrases harmonieuses de la clarinette, brutalement interrompues par les cordes dans « Per Angusta »), l’équilibre des voix qui ne tient qu’à un fil (« Slow Science »)… Les prises de risque tiennent l’auditoire en haleine, notamment dans les passages luxuriants qui mettent en scène plusieurs plans : un rif véloce du baryton, un piano minimaliste, une contrebasse et une batterie dynamiques et le reste de l’orchestre qui foisonne (« Beirut Work Song »)...
Les dédales peuvent bien sûr évoquer les enchevêtrements de notes et de rythmes de Time Geography, mais Dédale est également le symbole des solutions astucieuses : du labyrinthe qui enferme le Minotaure aux ailes, qu’Icare et lui utilisent pour s’enfuir de Crête, sans oublier le fil d’Ariane… Comme Dédale, Pifarély et son Ensemble proposent une musique en apparence complexe, mais dont la clé est à la portée de tous : il suffit de l’écouter les oreilles grandes ouvertes et l’esprit réceptif, pour que sa beauté sophistiquée se révèle en toute évidence.
Et pour ceux qui n’ont pas encore eu la chance d’entendre l’Ensemble Dédales en concert, Time Geography donne une image fidèle de la musique de Pifarély. L’enregistrement rend le jeu des voix plus clair et précis, et apporte un recul qui permet d’apprécier la cohérence de la construction des morceaux. En revanche, le disque ne traduit pas le grain, la chaleur et la densité d’un son « vivant », ni, bien entendu, la présence physiques et les échanges entre les musiciens…
Loin des tentatives de cross-over qui se limitent souvent à des juxtapositions ou des superpositions de motifs jazzy et de cellules classiques, dans Time Geography, Pifarély propose une véritable symbiose de musique contemporaine et de jazz.
Dominique Pifarély
Pifarély commence le violon classique à six ans et affirme son goût pour l’improvisation à l’adolescence. En 1979, il forme un trio avecDidier Levallet et Gérard Marais qui se produit régulièrement jusqu’en 1990 (Insula Dulcamara – 1988 et Oblique – 1992). En parallèle, de 1985 à 1997, c’est le Sclavis – Pifarély Acoustic Quartet, avec Marc Ducret et Bruno Chevillon,  qui enregistre Acoustic Quartetpour ECM (1993). En 1997, toujours chez ECM, il enregistre Poros, en duo avec François Couturier. Entre 1999 et 2012, Pifarély enseigne au Centre de Formation de Musicien Intervenant à Poitiers. La compagnie Archipels-Cie est fondée en 2000 pour abriter ses œuvres et L’ensemble Dédales voit le jour en 2005. A partir de 2007, il joue aussi en trio en compagnie de Padovani et Groleau. En 2010, c’est la création du spectacle Formes d’une guerre aux côtés de l’écrivainFrançois Bon, du percussionniste Michele Rabbia et le « créateur numérique » Philippe De Jonckheere. 2013 est l’année de Time Geography, mais aussi d’un quartet avec Antonin Rayon, Chevillon etFrançois Merville.
Le disque
Time Geography
Ensemble Dédales
Dominique Pifarély (v), Guillaume Roy (alto), Vincent Boisseau (cl), Pascal Gachet (tp),  François Corneloup (bs), Christiane Bopp (tb), Julien Padovani (p), Hélène Labarrière (b) et Eric Groleau (d)
Poros Editions
Sortie en novembre 2013.
Liste des morceaux
01. « Ordinary Chaos » (11:15).
02. « Per Angusta » (18:27).
03. « Slow Science » (9:57).
04. « Beirut Work Song » (10:16).
05. « Chaos, Ancient Noises » (5:55).
Tous les morceaux sont signés Pifarély.

Be.Jazz 2013

Pour la deuxième année le Centre Wallonie Bruxelles organise un festival de jazz. Le 21 novembre David Linx et Diederik Wisselsprésentent leur nouveau disque, Winds Of Change. Le 22, Be.Jazz propose un double concert : Kind Of Pink – Another Side of Pink Floydde Philippe Laloy et Obviously de Fabrice Alleman. Le 27, en coopération avec le festival Jazzycolors, c’est Mélanie De Biasio qui est à l’affiche.

Philippe Laloy
Kind Of Pink – Another Side of Pink Floyd
A l’occasion du concert organisé dans le cadre de Be.Jazz, Laloy présente le dernier opus sous son nom : Kind Of Pink. Dans ce disque, Laloy explore le répertoire de Pink Floyd avec Emmanuel Baily à la guitare et Arne Van Dongen à la contrebasse. En introduction, Laloy révèle qu’il a découvert Pink Floyd grâce à son père, à qui il dédie le concert.

Le trio joue huit morceaux tirés de trois disques phares de Pink Floyd et « Les enfants rouges », une composition de Laloy, clin d’œil au bar à vin parisien du meme nom. « On The Run », « Breathe », « Money » et « Us And Them » figurent sur The Dark Side Of The Moon (1973), « Wish You Were There » et « Shine On You Crazy Diamond » sur Wish You Were There (1975), « Good Bye Blue Sky » et « Another Brick In The Wall » sur The Wall (1979).
Laloy, Baily et Van Dongen respectent les grandes lignes mélodiques des orignaux, mais les arrangent à leur manière. L’absence de batterie et de claviers alliée au « presque tout » acoustique (la guitare de Baily sonne davantage jazz que rock) donnent de la légèreté et de la fluidité à leur interprétation. Les rifs dansent, les lignes swinguent, les développements balancent et la musique circule en souplesse d’un musicien à l’autre.



Van Dongen s’appuie sur un son énorme, grave et chaleureux (« Breathe »). Ses motifs plutôt libres (« Another Brick In The Wall ») et ses lignes dansantes (« Les enfants rouges ») assurent une pulsation profonde (« Money »). Quand il joue en solo, dialogue avec l’alto et la guitare ou souligne un chant à l’archet (« Shine On You Crazy Diamond »), Van Dongen fait gronder sa contrebasse. Avec ses pédales, Baily façonne des effets électro qui évoquent le rock psychédélique de Pink Floyd (« On The Run » et « Breathe »). Ses rifs dynamiques et ses suites d’accords entrainants laissent place à des chorus plein de caractère à l’image des « espagnolades » de « Good Bye Blue Sky ». Avec la dose de réverbération qu’il faut, le saxophone alto de Laloy possède une sonorité ample et soyeuse, bien adaptée aux chansons de Pink Floyd (« Money »). Il prend son temps pour jouer, alterne traits rapides et broderies mélodieuses. La flûte basse de Laloy apporte une note folk à la musique du trio (« Another Brick In The Wall ») et il joue aussi bien un phrasé classique (« Wish You Were Here ») qu’une bossa nova (« Les enfants rouges »). Dans l’hommage à Sid Barrett, « Shine On You Crazy Diamond », Laloy chante dans un style assez folk, doublé par Baily pour le refrain.
L’appropriation par Laloy, Baily et Van Dongen de la musique de Pink Floyd sonne juste et d’aucun pourrait croire qu’il s’agit de thèmes composés par le trio. Plus proche d’un jazz aux accents folk que du rock psychédélique, la musique de Kind Of Pink est inventive et séduisante.
Les musiciens
Formé à la flûte traversière classique à l’Académie de Waterloo, Laloy apprend le jazz au Canada où il étudie également le saxophone alto. De retour en 1988, il étudie la sociologie à l’Université Libre de Bruxelles et, en parallèle, continue son apprentissage musical : musique de chambre, harmonie et improvisation. En 1996 il sort du Conservatoire Royal de Bruxelles avec un premier prix de flûte et de saxophone. En 1998, il forme le groupe DGIL avec le guitariste brésilien Victor Da Costa. Laloy est également membre des groupes Tangram, Tricycle, Traces, Pantha Rhei… Musique brésilienne, traditionnelle, classique, rock, variété, jazz… Laloy joue dans les contextes les plus divers, a écrit pour le théâtre et le cinéma, et enseigne à l’International School of Brussels et à Saint John’s International School de Waterloo.
Comme Laloy, Baily a commencé par une formation en musique classique : c’est au Conservatoire Royal de Musique de Liège qu’il obtient son premier prix de guitare. Il continue avec un diplôme de musique de chambre. Baily a pris des cours d’improvisation avecGarrett List et Fabrizio Cassol. Baily compose beaucoup pour la danse et le théâtre, ainsi que diverses formations de musique classique. Côté jazz, il joue dans le trio SweetHeart, le Quartet Jazz Bay...
Van Dongen débute la musique par la batterie avant de suivre un cursus classique de contrebasse aux Conservatoires d’Anvers et de Bruxelles. Il joue avec l’Orchestre de l’Opéra de la Monnaie, le Nieuw Sinfonietta Amsterdam, l’Ensemble Oxalys… Van Dongen compose de la musique contemporaine (Solo pour contrebasse et Live Electronics), écrit pour des spectacles de danse (« Musique et danse improvisée » avec Joëlle LéandreBarre PhillipsPeter Kowald…), mais aussi pour le cinéma, la télévision… et joue dans le trio de Steve Houben avec Jacques Pirotton (Room Music – 2002).

Fabrice Alleman
Obviously
Alleman a monté un nouveau quartet en 2012 et sorti Obvioulsy chez Igloo Records en janvier 2013. Au Centre Wallonie-Bruxellles, il se produit avec deux membres habituels du quartet : Nathalie Loriers au piano et au Fender Rhodes et Reggie Washington à la contrebasse et à la basse. Mimi Verderame remplace Lionel Beuvens derrière les fûts. Le quartet est devenu un quintet avec la titularisation permanente du guitariste Lorenzo Di Maio (dans Obviously, il ne joue que sur deux morceaux).

Le programme du concert reprend cinq morceaux d’Obvioulsy : après avoir introduit le concert avec « 3 Or 4 », le quintet continue avec les trois mouvements de « La Suite Of The Day », puis invite David Linxpour chanter « Regard croisés » et « Hope For The World », qu’il a mis en parole. Le concert se conclut avec « J-J » : « c’est un peu le résumé de tout ce que j’ai pu écouter dans ma vie »… Et de citer : Piotr Ilitch Tchaïkoski et Wolfgang Amadeus Mozart pour sa mère ; Jimmy SmithArt TatumMiles Davis, John Coltrane et Charlie Parker  pour son père ; Yes, Supertramp et Genesis pour sa sœur ; Klaus Schulze, Tangerine Dream et Claude Nougaro pour son frère… sans oublier Alan Stivell ! En rappel, Linx rejoint le quintet pour un « Summertime » démonté.

Même si les principales caractéristiques du disque sont évidemment présentes en live – « un hard-bop contemporain, nerveux et palpitant » –, comme souvent, le concert est plus brut : les musiciens se lâchent davantage et les morceaux sont plus longs.
Egale à elle-même, Loriers accompagne toujours subtilement les solistes et ses solos ne manquent pas de piquant : dansants (« 3 Or 4 ») et pleins de swing (« The Afternoon ») au Fender Rhodes, dans une veine hard-bop au piano (« Hope For The World »). Linx possède une présence scénique indiscutable, une maitrise vocale irréfutable et du coffre : dans « Regards croisés », il passe des vocalises aigües aux paroles en jouant sur les nuances sonores ; dans « Hope For The World » il joue davantage sur les timbres ; quant à « Summertime », Linx en chamboule complètement la mélodie, s’amuse avec des sauts d’intervalles et son approche rappelle Betty Carter. Di Maio ajoute incontestablement de la densité à la palette du quintet : complicité avec le saxophone soprano (« 3 Or 4 »), pédale de soutien (« Morning »), solo bop (« The Evening »), passage nerveux et véloce (« J-J »), touches bluesy (« The Afternoon »)… Le jeu touffu de Verderame consolide l’ambiance hard-bop et la tension (« 3 Or 4 ») : chabada rapide suivi d’un solo fébrile (« The Afternoon »), stop-chorus imposants (« The Evening »), roulements puissants (« J-J »), frappes sèches (« Summertime »)… Washington se promène avec tranquillité : une walking entrecoupée (« 3 Or 4 ») ou pas (« The Evening »), un motif dansant (« Morning »), un chorus dynamique (« J-J ») et un morceau de bravoure, virtuose, impressionnant et mélodieux (« Regards croisés »). Alleman alterne saxophone soprano et saxophone ténor, avec un passage de vocalises aigües dans « Morning ». Sonorité pleine et ronde et phrasé clair, Alleman a un jeu expressif comme, par exemple, dans les solos a capella de « 3 Or 4 » et surtout de « J-J » : après une introduction jazz, il joue une série de contrepoints fulgurants à la manière de Johann Sebastian Bach, puis enchaîne une tournerie celte folklorique (Stivell…), qui débouche sur un thème entraînant aux accents world… Au soprano, Alleman s’aventure davantage sur le terrain du free (« 3 Or 4 », « Regards croisés ») que dans Obviously, tandis qu’au ténor, il reste plutôt dans une veine hard-bop (« The Afternoon », « The Evening ») pimenté de dissonances (« Summertime »).


Le concert est un fidèle reflet du disque : à partir d’un matériau de base désormais « classique », le hard-bop, Alleman et ses acolytes font preuve d’une vitalité et d’une créativité qui leur permettent de bâtir une musique moderne et pétillante.
Les musiciens
Alleman, Loriers, Washington et Di Maio sont présentés dans la chronique d’Obviously.
Verderame s’initie à la batterie dès l’âge de six ans. A quatorze ans il suit les cours de l’Académie Gretry de Liège. Un an plus tard il apprend également la guitare en autodidacte. A dix-sept ans il joue avecJacques Pelzer et sa carrière décolle : il accompagne Toots ThielemansPhilip CatherinePaolo Fresu, Houben, Didier Lockwood… En 1990, il sort Speed Limit, son premier disque influencé par le latin jazz. En 1996, Verderame forme l’octet Jazz Addiction Band. Jusqu’en 2006 il enseigne également au Conservatoire de Gand. En 2007 , avec le quartet Bop Hard & Be, Verderame enregistre son sixième disque.
Linx est le fils d’Elias Gistelinck, trompettiste, compositeur de musique contemporaine, producteur à la radio et à la télévision, fondateur du Jazz Middelheim d’Anvers… Linx prend des cours de solfège très jeune, puis apprend la flûte, le piano et la batterie, mais le chant l’intéresse dès le début de son apprentissage musical. En 1982, il s’installe chez James Baldwin, à Saint-Paul-de-Vence. A la même époque, Nathan Davis le présente à Kenny Clarke qui l’héberge et lui donne des cours de batterie. Linx accompagne, entre autres,Horace ParlanSlide HammptonSahib Shihab… En 1988, il abandonne la batterie et s’oriente vers le chant. Avec Diederick Wissels, Linx crée un duo en 1992. Linx est également professeur de chant au Conservatoire Royal de Bruxelles.

Autumn Jazz Festival…

Agent artistique, label, producteur… Nemo Music organise son deuxième Autumn Jazz, du 13 novembre au 30 novembre, avec une série de neuf concerts au Studio de l’Ermitage et au Sunset & Sunside.François Peyratout programme Renaud Garcia-Fons en solo, Kristin Asbjornsen, le Hadouk Quartet, le Rosario Giuliani Quartet, leLionel Suarez Trio et Jean-Jacques Milteau.

Renaud Garcia-Fons
Mercredi 13 novembre
Studio de l’Ermitage
Beyond The Double Bass est un coffret avec un disque et un DVD qui sort chez Enja, en novembre. Le DVD est un reportage réalisé parNicolas Dattilesi et le disque est une compilation de quatorze morceaux, dont douze tirés des dix disques que Garcia-Fons a sortis chez Enja depuis vingt ans, quant à « En mi barrio » et « Camino de felicidad » (dans lequel sa fille, Soleá, chante avec beaucoup d’expressivité), ce sont deux inédits.  A l’occasion de la sortie deBeyond The Double Bass, Garcia-Fons se produit en en solo au Studio de l’Ermitage.


Avec sa contrebasse Jean Auray à cinq cordes, ses processeurs d’effets et autres pédaliers de mise en boucle, Garcia-Fons joue pendant près d’une heure et demie, principalement le répertoire du Concert de Marcevol.
Le Studio de l’Ermitage est comble et Garcia-Fons a droit à pas moins de quatre rappels et une standing ovation ! Le contrebassiste présente son concert comme un itinéraire  qui part des Pyrénées orientales, descend en Espagne, bifurque vers l’Italie, rejoint l’Iran, passe par le Burundi, gagne les Etats-Unis, avant de revenir par les territoires celtes… Autant dire que la musique est bigarrée, avec évidemment une dominante méditerranéenne.
Garcia-Fons fait le choix de jouer avec de la réverbération, un peu comme dans la nef d’une église. Le concert commence d’ailleurs par « Marcevol », hommage au prieuré du même nom. Le contrebassiste alterne des lignes mélodiques aux accents arabo-andalous avec des contrepoints baroques virtuoses. La cinquième corde aigue de son instrument lui permet de faire sonner sa contrebasse comme un violoncelle (« Hacia Compostella »). Garcia-Fons s’appuie sur des cellules rythmiques préenregistrées pour jouer un flamenco tendu (« Bajo de Guia (Buleria) ») ou un blues entraînant (« Far Ballad »). Son sens mélodique fait des merveilles et, pour pimenter ses développements, il alterne pizzicato et archet, joue des motifs rythmiques sur la table de sa contrebasse et varie les techniques de jeu (« Palermo Notturno »). Quand Garcia-Fons amène l’auditeur au cœur du Kurdistan iranien, sur les traces du maître du tanbur, Ostad Elahi Sheikh Amiri, sa contrebasse se fait luth (« Voyage à Jeyhounabad », « Kurdish Mood ») et, quand il s’approche de Bujumbura, une feuille de papier, placée entre les cordes et la table au niveau du chevalet,  fait vibrer le son comme un inanga (cithare du Burundi), voire une sanza (« Inanga » pendant le concert ou « Kalimbass », sur Beyond The Double Bass). Tandis qu’avec « Pilgrim », les tourneries celtes et sonorités aux nuances médiévales s’invitent à la fête, « Rock Wandering » plonge l’auditeur dans un rock progressif furieusement développé à l’archet…
Mélodieuse et entraînante, la musique de Garcia-Fons est d’autant plus captivante qu’il n’a pas son pareil pour façonner des sonorités inouïes et maintenir son auditoire sous tension.
Renaud Garcia-Fons
Garcia-Fons commence par apprendre le piano et la guitare classique. Dans les années quatre-vingt, il intègre les conservatoires de Paris et d’Aubervilliers, où il obtient son diplôme d’Etat de professeur de contrebasse. Ensuite, il fait partie de la formation de Roger Guérin, de l’Orchestre de Contrebasses, puis de l’Orchestre National de Jazz deClaude Barthélemy. Eclectique, Garcia-Fons joue avec Nguyên Lê,Didier LockwoodSylvain LucMichel PortalGérard Marais… mais aussi Cheb MamiDhafer Youssef, le trio Chemirani…
Le disque
Beyond The Double Bass
Renaud Garcia-Fons
Renaud Garcia-Fons (b) et invités.
ENJA – ENJ-9608 2
Sortie en novembre 2013
Liste des morceaux
01. « En mi barrio » (01:57).
02. « Aljamiado » (05:05).
03. « Oriental Bass » (06:34).
04. « Berimbass » (06:07).
05. « Entremundo » (03:58).
06. « La línea del sur » (06:11).
07. « Wadi Rum » (05:23).
08. « Hommage à Ostad » (06:34).
09. « Al Camarón » (05:07).
10. « Palermo notturno » (06:25).
11. « Funambule » (02:56).
12. « Camino de felicidad » (04:00).
13. « Bari » (03:05).
14. « Voyage à Jeyhounabad » (05:54).
Toutes les compositions sont signées Garcia-Fons.

Hadouk Quartet
Lundi 18 novembre
Studio de l’Ermitage
Hadouk voit le jour en 1996, quand Didier Malherbe et Loy Ehrlichdécident de monter un duo, principalement autour du hajouj (instrument à cordes pincées gnawa) et du doudouk (hautbois arménien), mais dans lequel ils jouent aussi d’une multitude d’autres instruments. En 1999, Hadouk devient un trio avec l’arrivée du percussionniste Steve Shehan. Ils tournent aux quatre coins du monde et enregistrent quatre trois albums : Shamanimal en 1999, Now en 2002, Utopies en 2006 et Air en 2010. Début 2013, Jean-Luc Di Frayasuccède à Shehan, puis Malherbe et Ehrlich proposent au guitariste Eric Löhrer de les rejoindre : Hadouk devient un quartet. Hadoukly Yours, qui sort chez Naïve en novembre 2013, est la première trace discographique du quartet.


Nemo Music profite de la sortie d’Hadoukly Yours pour programmer Hadouk pendant l’Autumn Jazz festival. Comme pour le concert de Garcia-Fons, le Studio de l’Ermitage est bondé et le concert dure plus d’une heure et demie, avec moult rappels. Le quartet jongle avec les instruments : saxophone soprano, doudouk, bansuri et autres flûtes pour Malherbe ; gumbass pour Ehrlich (et une espèce de flageolet, en rappel) ; guitare acoustique, bouzouki, banjo et lap-steel pour Löhrer ; percussions, cajon et vocalises  pour Di Fraya…
Hadouk reprend la plupart des morceaux d’Hadoukly Yours et joue également « Lila et Lampion », composé par Ehrlich en hommage à ses deux ânes… L’ombre de l’Afrique plane sur la musique du quartet : la sonorité grave et sourde du gumbass, bien sûr, mais aussi les syncopes (« Danse des lutins »), les mélopées (« Shadow Maker », qui, comme l’explique Malherbe est « le fabricant d’ombre, celui qui fait pousser des arbres, par exemple »…), les superpositions de rythmes (« Bittersweet Lullaby »), les ostinatos entêtants (« Bora » et « Bollo »), les répétitions mélodiques (« Lila et Lampion »), les questions-réponses (« Suite cabaline »)… Des mélodies dissonantes et aériennes évoquent également l’Inde : « Chappak », dédié à Ravi Shankar, décédé en novembre 2012, et « Ayur ». Quant au swing de Malherbe (« Bora » et « Bollo »), au drumming de Di Fraya (« Suite cabaline »), à la structure de morceaux (thème – solos – thème) et aux notes  bleues («  Shadow Maker »), ils rappellent qu’Hadouk a bien un pied dans le jazz.
Le quartet joue sur les contrastes : sonorités acoustiques du soprano, gumbass et percussion sur les nappes d’accords électro de la lap-steel (« Shadow Maker »), tournerie médiévale sur rythmique africaine (« Danse des lutins »),  contrepoints world sur une ambiance bluesy (« Rouge bambou »)… Le travail de la matière sonore est une autre composante fondamentale de la musique d’Hadouk et c’est sans doute pour cette raison que les musiciens alternent les instruments selon le climat recherché : Löhrer fait sonner son banjo comme une kora (« Bora » et « Bollo ») et sa guitare acoustique trace des lignes nettes et précises (« Suite cabaline »), Ehrlich met le son épais et nébuleux du gumbass au service de lignes denses (« Rouge bambou »), la voix haut perchée de Di Fraya rappelle un peu les chants flamenco (« Chappak »), Malherbe passe du son velouté de son saxophone soprano (« Shadow Maker ») au timbre brillant du doudouk (« Lila et Lampion »)…
Hadouk propose une musique enjouée, créative et insolite, un mariage radieux de mélodies envoûtantes et de foisonnements rythmiques !
Les musiciens
A partir de la fin des années soixante, Malherbe fait partie de Gong, le groupe créé par Daevid Allen, ancien de Soft Machine. Dix années plus tard il monte Bloom, un groupe de rock progressif qui sort un album éponyme en 1979. A la fin des années quatre-vingt, l’ex-pianiste de Magma, François Faton Cahen et Malherbe monte le groupe de fusion Faton Bloom (disque éponyme en 1986). Au début des années quatre-vingts dix, Allen relance Gong avec Malherbe, Shyamal Maîtra,Graham Clarke et Pip Pyle. C’est avec Zeff, en 1992, que Malherbe s’oriente vers la world music avec Maîtra (tablas), Ehrlich (claviers),Jean-Philippe Rykiel (synthétiseur) et Henri Agnel (sarod). Ils récidivent – sans Rykiel – en 1994 (Fluvius). Depuis, Malherbe continue de jouer avec Gong, monte un duo avec le guitariste Pierre Bensusan, crée un trio avec Patrice Meyer et Philippe Foch, est invité à participer à plusieurs projets du maître arménien du doudouk, Djivan Gasparian et enregistre Du vent dans les cordes en duo avec Ehrlich à la kora (2008)…
Emigré à la Réunion à la fin des années soixante-dix, Ehrlich crée le groupe Carroussel. De retour en France en 1982, Ehrlich joue d’abord avec Malherbe, puis intègre Touré Kunda. En 1986, Louis Bertignacarrête Téléphone et crée les Visiteurs, avec Ehrlich aux claviers. Deux ans après cette expérience rock, Ehrlich participe au groupe deYoussou N’Dour. Ehrlich sort son premier disque en solo, Les îles du désert, en 1993, et continue de partager son temps entre rock, musique du monde et musiques improvisées. A partir de 1996, Ehrlich se consacre essentiellement à Hadouk, tout en poursuivant ses activités de production, programmation (Festival d’Essaouira), réalisation…
En 1998, Löhrer sort évidence, un solo en hommage à Monk, puis, jusqu’à 2004, Löhrer promène ses guitares dans des contextes aussi divers que la musique contemporaine (ensemble itinéraire), que le rock (Superphenix), la variété (Alain Chamfort), les musiques du monde (Ibrahim Maalouf)… C’est avec Fire And Forget et vs Rumbabierta de Julien Lourau que Lörher renoue avec le jazz. En 2008, il enregistre Sélène Song en quartet avec Jean-Charles Richard,Eric Surménian et Patrick Goraguer, puis, en 2010, Nuit d’ombrelleen duo avec Malherbe.
A sa sortie du Conservatoire à Rayonnement Régional de Marseille, cursus percussion classique, Di Fraya joue dans le Metropole Orchestra, puis avec Mario StantchevPerrine Mansuy et son Vertigo Songs Quaret… Il fonde également le Studio Hubble dédié aux créations musicales dans l’audiovisuel. Di Fraya joue aussi dans le collectif Nine Spirit de Raphaël Imbert (Heavens – Amadeus & The Duke) et le projetMarseille Marseille de Louis Winsberg.

Rosario Giuliani Quartet
Mardi 19 novembre
Sunside
Pour Images, son sixième disque chez Dreyfus Jazz, Rosario Giulianifait de nouveau appel à Joe La Barbera (le batteur était déjà présent sur Lennies’ Pennies, sorti en 2010). Roberto Tarenzi au piano etJohn Patitucci à la contrebasse complètent le quartet. La nouveauté, c’est que Giuliani a également demandé au vibraphoniste Joe Lockede se joindre à la fête. Giuliani présente Images au Sunset, dans le cadre de l’Autumn Jazz Festival de Nemo Music. La concurrence du match de sélection pour la coupe du monde de football entre la France et l’Ukraine se fait sentir : la salle du club n’est remplie qu’au tiers…
Si le répertoire du concert, entièrement écrit par Giuliani, est tiré d‘Images, en revanche le saxophoniste se produit en quartet avec Tarenzi, Darryl Hall à la contrebasse (déjà présent sur Lennies’ Pennies) et Marco Valeri à la batterie.


Etiqueté « bopper virtuose », à l’instar de son compatriote Stefano Di Battista, Giuliani se détache peu à peu de ce classement et trouve, au fil de ses albums, une voie qui se rapproche de ce néo-bop newyorkais qui s’appuie sur la structure des morceaux et l’énergie du be-bop, mais se construit autour de thèmes dissonants et d’interactions entre les musiciens.
« Siberian Lake » est justement un bel exemple de mélodie moderne, avec le piano en contrechant, la batterie mélodieuse et la basse qui joue une ligne fluide, pendant que le saxophone alto alterne traits supersoniques et silences, servi par une sonorité grave, chaude et mate. La mise en place du quartet est impeccable – qualité indispensable pour cette musique ! Libéré de toute contrainte de durée (les quatre morceaux du premier set durent autour de quinze minutes chacun), Giuliani fait une incursion dans un free sous contrôle. Avec « Woods », hommage à Phil Woods, le quartet replonge dans un be-bop pur et dur : walking inamovible, chabada indéfectible, progression d’accords à foison, alto véloce, thème – solos – thème avec le piano et la contrebasse dans la même veine que Giuliani, stop-chorus de la batterie… Tout y est ! L’introduction de Hall dans « Sea And Shadow » est une démonstration de master class : d’abord sa sonorité puissante, ronde et boisée, directement sortie des entrailles de la contrebasse, ensuite, la musicalité de son chorus qui alterne pédale grave et motifs aigus, avant d’introduire des vibratos, doubles cordes, glissandos… Giuliani emmène le morceau dans une ballade parsemée de phrases rapides, puis revient sur une mélodie tendue et impétueuse, reprise par le piano. Le set se clôt avec « L’Istante » qui, comme « Siberian Lake », est une mélodie dissonante. La section rythmique joue un rif groovy sur lequel l’alto place des courts motifs bop, avant de laisser le piano se lancer dans un chorus qui tient davantage de la musique contemporaine : petites cellules rythmiques courtes, phrases heurtées, jeux en accords, tension… Valeri conclut le morceau avec un solo à base de roulements puissants et véloces sur les peaux.
Inscrite dans la lignée bop, la musique de Giuliani s’affranchit partiellement des canons du genre et, par son approche moderne, pleine de vigueur et de maestria, il réussit à emporter les auditeurs dans le tourbillon de ses notes.
Les musiciens
Diplômé du Conservatorio di Musica Licino Refice de Frosinone, Giuliani entâme une carrière dans le jazz, couronnée de prix : Massimo Urbani (1996), European Jazz Contest (1997), Musica Jazz Magazine (2000)… Giuliani joue avec de nombreux jazzmen, de Martial Solal àMark Turner en passant par Phil WoodsEnrico Rava,  Kenny Wheeler… En 2000, Giuliani rejoint le label Dreyfus Jazz et sortLuggage (2001), Mr. Dodo (2002), More Than Ever (2004), Anything Else (2007), Lennie’s Pennies (2010) et Images en 2013.
Tarenzi apprend d’abord le piano classique, mais commence à jouer du jazz dans l’Enrico Intra’s Big Band à dix-neuf ans et accompagne aussi bien David Murray que Bob Brookmeyer ou Rava. Il monte un trio, Cues, qui a notamment l’occasion d’enregistrer avec David Liebman. En 2006, Tarenzi part à New York, joue dans les clubs, parvient à la demi-finale du Thelonious Monk Piano Competition… De retour en Italie, Tarenzi écume les studios. Il crée un trio avec Roberto Pistolesiet Dario Deidda ou Pietro Ciancaglini, joue avec Stefano DiBattista, puis rejoint Giuliani.
Valeri suit les traces de son père, batteur. Il commence par jouer dans des groupes de funk, pop, blues… et, en 1996, s’oriente vers le jazz avec le trio de Luca Mannutza, et Marco Loddo. Il joue ensuite dans le quintet du guitariste Cristiano Mastroiani (concours de San Gemini), puis avec son trio et le saxophoniste Daniele Tittarelli(Tremplin Jazz d’Avignon en 2000, et Jungle Trane en 2002)… Entre 2002 et 2003, Valeri fait un séjour fructueux à New York. A son retour en Italie, il intègre l’orchestre de Sandro Deidda et, en parallèle accompagne de nombreux musiciens à l’instar de Liebman, Benny GolsonEddie GomezGeorge GarzoneRick Margitza…  
Quant à Hall, ses disques avec Denise King et Olivier HutmanDavid El-Malek et Baptiste Trotigon… ont déjà permis de découvrir son parcours.

Lionel Suarez
Mardi 26 novembre
Studio de l’Ermitage
Retour à l’Ermitage pour le concert de Lionel Suarez, avec Kevin Seddiki à la guitare et au zarb et Pierre-François Dufour au violoncelle et à la batterie. Le trio joue, entre autres, le répertoire deCocanha !, premier disque en leader de Suarez, sorti en avril 20013. Le Studio fait encore une fois le plein, les rappels se succèdent et le concert, en deux parties, dure près d’une heure trois quart !

Dès les premières notes, la joie de jouer des trois musiciens semble évidente et communicative : du début à la fin du concert, les applaudissements sont nourris. Les morceaux durent autour de dix minutes et n’obéissent pas à une structure prédéterminée car le trio privilégie les interactions. Les phrasés de Sedikki à la guitare et de Dufour au violoncelle sont marqués par la musique classique et, de ce fait, se marient parfaitement avec le jeu legato de l’accordéon. Si la mélodie est au centre de la musique de Suarez, la composante rythmique est clé et le zarb de Seddiki donne même la réplique à Dufour qui joue sur la table de son violoncelle et Suarez sur le coffre de son accordéon. Le trio trouve ses sources d’inspiration dans les musiques de bal – valse, slow, tango, polka, rock, boléro, flamenco… –  et le jazz.
Avec une sonorité claire et des lignes précises parsemées d’appoggiatures, les chorus de Seddiki évoquent souvent la musique espagnole (« La mélodie du bonheur ») avec parfois des accents manouches, ou sont clairement marqués par la musique classique comme sur « L’Indifférence »). La musique classique est également présente dans les nombreux passages en contrepoints que Seddiki joue pour accompagner ses compères. Dufour est un batteur efficace, à la frappe lourde et au jeu fourni, volontiers porté sur les fûts et la grosse caisse, sans doute plus proche du rock et de la variété que du jazz. Violoncelliste hors pair, il passe d’une redoutable ligne de basse en pizzicato à une introduction majestueuse à l’archet, se met à l’unisson de l’accordéon avant d’intercaler ses phrases entre celles de la guitare, renforce la gravité du discours de l’accordéon… Sur les traces de Richard Galliano, mais aussi de Marc Berthoumieux et Marc Perrone, Suarez possède une fibre mélodique indéniable et une mise en place entraînante. Il évite les sirènes de la facilité grâce à des développements surprenants qui s’écartent des thèmes et une gestion habile de la tension et de l’émotion.
Un violoncelle inventif, une guitare hispanisante et un accordéon astucieux : le trio de Suarez parvient à jouer son jazz-musette, une musique originale et expressive à souhait.
Les musiciens
Petit-fils et fils d’accordéonistes, Suarez commence l’accordéon dès son plus jeune âge.  C’est à huit ans qu’il prend ses premiers cours de musique avec François Acéti et commence à jouer dans les bals à quinze ans. Suarez peaufine sa technique avec André Thépaz et s’inscrit au Conservatoire de Marseille, dont il sort avec un premier prix et une médaille d’or. A la fin des années quatre-vingts dix, il joue aussi bien de la musique occitane (avec Claudi Marti et Gérard Pansanel) que de la salsa et autres musiques de variété. A partir de 2002, installé à Paris, Suarez accompagne Bernard LavilliersFlorent PagnyMauraneRoberto AlagnaJean Rochefort…  En 2006, il monte un duo avec André Minvielle, qui lui ouvre les portes de la scène du jazz. Suarez participe à La tectonique des nuages, l’opéra-jazz créé par Laurent Cugny. Depuis, Suarez s’est produit avecSylvain LucAirelle BessonTerez Montcalm… participe à Jazz sur son 31, tourne avec Véronique Sanson
Formé à la fois au classique et au jazz, Seddiki joue aussi bien avec Al Di Meola que Dino Saluzzi ou Olivier Ker Ourio. Il accompagne également la chanteuse Yasmine Hamdan. Seddiki a aussi créé un duo avec le percussionniste Bijan Chemirani, qui lui a enseigné le zarb. En 2012, il sort son premier disque, Il Sentiero.
Dufour débute par la batterie avant de commencer le piano et le violoncelle à sept ans. Deux ans plus tard il intègre la classe de violoncelle du Conservatoire de Bordeaux. Dufour entre ensuite au CNSMDP. Il est violoncelliste dans le Trio Jacques Thibaud, soliste de l’Orchestre National de Bordeaux Aquitaine… et participe, en parallèle, à des formations de jazz, de musiques du monde et accompagne des pièces de théâtre (Les mots et la chose avec Jean-Pierre Marielle et Agathe Nathanson).

Igloo Records réchauffe l’hiver…

Le label belge Igloo Records poursuit son chemin et continue de sortir des disques sur un rythme régulier : après Flat Earth Society, le trio d’Igor Géhénot et le quintet de Sal La Rocca, c’est au tour de Lionel Beuvens et Fabrice Alleman de confirmer la vitalité du jazz belge (dont personne ne doute …).
La ligne éditoriale d’Igloo s’articule autour de cinq axes : Igloo Jazz, qui se décline en Jazz Classic Collection, New Talents et des Compilations, IglooMondo porté sur les musiques du monde, Iglectic pour les musiques improvisées, Factice orienté hip hop et assimilés, et Franc’Amour, dédié aux chansons. Trinité et Obviously, les disques  de Beuvens et d’Alleman, sont au catalogue d’Igloo Jazz…
Trinité – Lionel Beuvens
En 2012, Beuvens monte un quartet avec Jorma Kalevi Louhivuori à la trompette,Alexi Tuomarila au piano etBrice Soniano à la contrebasse. Si l’instrumentation est classique, la réunion d’un Belge, de deux Finlandais et d’un Français, elle, l’est moins ! Le premier disque de ce quartet transeuropéen,Trinité, sort donc en octobre chez Igloo Records.
Beuvens signe les neuf morceaux et le bonus (anagramme de « All the Things You Are ») au programme de Trinité. Le répertoire alterne sept morceaux enlevés et trois pièces plus tranquilles. En dehors de « Drums », un solo de batterie, et « So True », en trio piano – contrebasse – batterie, toutes les autres plages sont en quartet.
La composition du quartet évoque inévitablement le be-bop et ses cousins cool ou hard… Et s’il est incontestable que Tuomarila a parfaitement assimilé le langage de Bud Powell (« Jessica »), son jeu déborde largement le cadre du be-bop grâce à un mélange d’influences : ici, un jeu puissant dans les graves qui évoque Lennie Tristano (« Fragile »), là, un développement délicatement dissonant dans la lignée de Bill Evans (« So True »), mais c’est surtout Keith Jarrett que l’on retrouve dans les ostinatos tendus (« A »), les motifs arpégés (« So True ») et autres accents folk (« Trinité »). Le pianiste pimente également son jeu avec des accords latinos (« Seven »). L’énorme son grave de Soniano assure des fondations harmoniques et une pulsation robustes. Il affectionne les rifs obsédants (« Fragile ») et autres cellules rythmiques intenses (« Trinité »), mais ne rechigne pas à placer une walking vigoureuse (« Jessica »), glisser une ligne mystérieuse à l’archet (« Globe ») et prendre un chorus mélodieux dans le registre medium aigu (« A »). Beuvens complète parfaitement Soniano : des cymbales et des fûts foisonnants sur une charleston métronomique (« Fragile »), le tout avec de l’énergie à revendre. Cela dit, il n’accapare jamais le devant de la scène et, en dehors de son morceau en solo (« Drums »), il ne prend qu’un chorus (« Fragile »). En revanche Beuvens encourage ses partenaires à grand renfort de splash (« Jessica »), passe en chabada pour soutenir Tuomarila (« Seven »), utilise des gongs et autres percussions pour apporter une touche world (« Globe »), se montre aérien en trio (« So True »), joue des rythmes dansants (« Mucho Loco »)… Quant au jeu de Louhivuori, moderne, virtuose et libre, il le situe davantage quelque part entre Dave Douglaset Kenny Wheeler, que « des trompettistes esthètes venus du nord ». Une sonorité éclatante et plutôt nerveuse, qu’il parsème d’effets dirty(« Seven »), d’imitation stridente de Zurna (« Globe »), de successions de trilles, souffle et traits rapides («  Mucho Loco »), d’envolées aigües (« Fragile »)… Avec une grande souplesse rythmique, Louhivuori joue des contrepoints subtils avec la contrebasse (« A »), jongle (« Jessica ») ou dialogue (« Trinité ») avec le piano.
Beuvens, Louhivuorin, Tumoarila et Soniano sont d’une complémentarité exemplaire. Mélodies et développements dissonants, interactions denses, rythmique touffue, pulsation régulière… La musique de Trinité fleure bon un néo-bop moderne pimenté de free et de world. 
Les musiciens
Beuvens commence par les percussions classiques à l’Académie d’Auvelais. C’est aux côtés d’Antoine Cirri et de Nathalie Loriersqu’il découvre le jazz. En 2004 Beuvens est diplômé du Koninklijk Conservatorium van Brussel, où il est également professeur. Beuvens a étudié, entre autres, avec Billy HartDré PallemaertNasheet Waits
Finlandais, Louhivuori a longtemps été un pilier du Jazz Bar avec son groupe Myöhä. Il a suivi le cursus jazz du Finnish Conservatory of Jyväskylä. Fin 2005, Lohivuori forme le Sun Trio avec son frère Olavi et le bassiste Antti Lötjönen. Il joue également dans Northern Governors, un groupe qui mélange  afro-beat, reggae, hip-hop…
Comme Louhivuori, Tuomarila vient aussi de Finlande, où il a appris le piano classique, puis débuté le jazz au Conservatoire d’Helsinki. Quand sa famille s’installe à Bruxelles, Tuomarila s’inscrit au Conservatoire de Bruxelles. Il y suit les cours de Diedrik Wissels et Loriers et y côtoie Jozef Dumoulin. En 1999, Tuomarila monte un quartet avec trois autres étudiants du conservatoire : Nicolas KummertChristophe Dervisscher et Teun Verbruggen. Il collectionne les premiers prix dans les concours : Hoeilaart, Jazz à Monaco, Tremplin Jazz d’Avignon…
Français, installé en Belgique, Soniano joue souvent aux Pays-Bas, où il a fréquenté le Den Haag Koninklijk Conservatorium. Après avoir vécu dans la forêt camerounaise avec les pygmées Baka, Soniano parcours les scènes européennes des musiques improvisées. Sublunary Melodiaest le premier disque de son quintet, constitué de Toma Gouband,Joachim BadenhorstNelson Veras et Juan Parra Cancino. En 2012 il est soliste avec l’Orchestre National de Montpellier pour la création de Jetzt, un opéra composé par Mathis Nitschke. Soniano participe également au quartet Par4Chemins, au duo Rawfishs, Maurice Horsthuis’ String Ensemble etc.
Le disque
Trinité
Lionel Beuvens
Kalevi Louhivuori (tp), Alexi Tuomarila (p), Brice Soniano (b) et Lionel Beuvens (d).
Igloo Records – IGL237
Sortie en octobre 2012.
Liste des morceaux
01.  « Jessica » (7:51).
02.  « Seven » (10:49).
03.  « A » (6:03).
04.  « Globe » (3:54).
05.  « Fragile » (7:44).
06.  « So True » (6:29).
07.  « Drums » (2:18).
08.  « Mucho Loco » (9:59).
09.  « Trinité » (6:23).
10.  « You Are All The Things ».
Tous les morceaux sont signés Beuvens, sauf indication contraire.

Obviously – Fabrice Alleman
C’est avec un nouveau quartet qu’Alleman a enregistréObviously : le saxophoniste soprano et ténor est entouré de Nathalie Loriers au piano et au Fender Rhodes, Reggie Washington à la contrebasse et à la basse, et Beuvens à la batterie. Alleman invite également le guitaristeLorenzo Di Maio pour deux titres.
Pour Obviously, Alleman a composé cinq thèmes et une suite de trois mouvements. Le quartet interprète également « Sister Cheryl », un morceau écrit par Tony Williams pour son premier disque en leader,Foreign Intrigue (1985). Alleman confirme un talent de mélodiste incontestable : « Hope for The World », « 3 Or 4 », « Regards croisés »…
Touché puissant, phrasé tranchant, mise en place précise, le piano de Loriers dans Obvioulsy rappelle celui des pianistes hard-bop, mais, l’expérience aidant, elle a réussi à se forger un style personnel, créatif, et dans lequel perce ça-et-là une pointe de lyrisme. Les rifs funky et autres lignes fluides et groovy auxquels nous a habitué Washington à la basse, ne doivent pas faire oublier la souplesse de son jeu de contrebasse, avec laquelle il alterne walking, motifs alertes et phrases mélodieuses, avec un placement constamment dansant. Son jeu trouve un prolongement idéal dans la batterie luxuriante, mais régulière de Beuvens. Alleman utilise le ténor pour les trois mouvements de la suite et le soprano pour tous les autres morceaux. Il se double aussi à la clarinette, à la clarinette basse et à la voix. D’une aisance parfaite au soprano, son approche, particulièrement mobile, a des points communs avec celui de Wayne Shorter, mais aussi, dans les morceaux plus lents, avec celui de John Coltrane dans Ballads. Au ténor, Alleman passe d’un jeu emphatique à la Charles Lloyd dans Lift Every Voice, à du hard-bop énergique, à la Sonny Rollins.
Les morceaux plongent l’auditeur tour à tour dans d’une ambiance moyen-orientale (« J-J »), des environnements denses et groovy (caractéristiques renforcées par le Fender de Loriers, le jeu puissant sur les fûts de Beuvens dans « 3 or 4 » et la basse de Washington dans « Regards croisés »), un climat bluesy (accentué par la guitare de Di Maio, « Don’t Say It’s Impossible »), un slow mélancolique (« Hope For The World »), une atmosphère qui mêle rythmes funky et développements bop (« Sister Cheryl »)… Quant à la suite, elle commence par un mouvement solennel (« Morning ») se poursuit sur un rythme enlevé dans un esprit hard-bop (« The Afternoon ») et se conclut dans la même veine avec un swing vigoureux (« The Evening »)…
Des musiciens excellents, des thèmes originaux, des développements ingénieux… la musique d’Obviously s’inscrit dans un hard-bop contemporain, nerveux et palpitant !
Les musiciens
Alleman commence par la clarinette, joue dès son plus jeune âge dans l’Harmonie de Ghlinet et, à dix-sep ans, enregistre son premier disque, avec un orchestre de Dixieland. Au début des années quatre-vingts dix, Alleman sort du Conservatoire Royal de Bruxelles avec un premier prix de saxophone, ajouté aux premiers prix de clarinette et de musique de chambre glanés auparavant. En parallèle à son activité d’enseignant, Alleman participe à de nombreux projets : Alleman – Loveri, son premier quartet avec Michel HerrJean-Louis Rassinfosseet Fabrice Jacquemin, la formation de Stéphane Galland... Dans les années quatre-vingts dix, il joue aussi du blues avec le Calvin Owens Orchestra, de la variété avec Adamo ou William Sheller… Alleman est membre de Sax No End, s’associe à Jean Warland, participe auTerence Blanchard Quintet etc. En 2004 il publie Sides Of Life, deuxième disque de son quartet, mais Alleman a déjà participé à plus d’une centaine de disques…
De formation classique, Loriers s’oriente vers le jazz sous l’influence de Steve Houben et Charles Loos. En 1990, elle sort du Conservatoire Royal de Bruxelles avec un premier prix de piano et d’harmonie jazz. Dans les années quatre-vingts dix, Loriers joue notamment avec Toots ThielemansLee KonitzDiederik Wissels, Linx (Standards – 1997) et forme un trio avec Sal La Rocca et Hans Van Oosterhout (Silent Spring – 1999). Entre 1999 et 2000, Lorriers aligne également une impressionnante série de prix : Django d’or, Europe Django, Jazz Pool 99 de la VRT, prix Bobby Jaspar de l’Académie du Jazz de Paris…Tombouctu (2002), enregistré en sextet, rencontre un franc succès dans toute l’Europe. En 2004, elle monte Chemins croisés, un duo avecYadh Elyes, remplacé par Karim Baggili l’année suivante. Loriers joue aussi en duo avec Philippe Aerts, en compagnie d’un quatuor à cordes (Moments d’éternité – 2009), comme pianiste du Brussel Jazz Orchestra… Elle enseigne dans diverses académies et est professeure au Conservatoire Royal de Bruxelles.
Inutile de présenter pour la énième fois Washington, entendu avecHervé Samb, Rainbow Shadow, Malcolm BraffUri Caine… Quant à Di Maio, il fait partie du quintet de La Rocca, présent l’année dernière au CWB.
Le disque
Obviously
Fabrice Alleman
Fabrice Alleman (cl, sax), Nathalie Loriers (p),  Reggie Washington (b) et Lionel Beuvens (d), avec Lorenzo Di Maio (g).
Igloo Records – IGL241
Sortie en janvier 2013.
Liste des morceaux
01. « J-J » (5:35).
02. « Hope For The World » (5:02).
03. « Don't Say It's Impossible » (4:11).
04. « Sister Cheryl », Williams (6:34).
05. « 3 or 4 » (6:59).
06. « Morning » (3:31).
07. « The Afternoon » (7:10).
08. « The Evening » (4:24).
09. « Regards croisés » (7:46).
Tous les morceaux sont signés Alleman, sauf indication contraire.